Bilan Canneséries 2021 : Des sujets, des verbes et un complément
Alors que la quatrième édition de Canneséries s’est terminée il y a près d’un mois, nous avons pu visionner les séries en compétition dans leur intégralité. L’édition 2021, si elle regorgeait moins de propositions détonantes que les années passées, a tout de même eu son lot de héros et d’héroïnes pas comme les autres. Petite sélection personnelle du cru de cet automne.
En parallèle du MIPCOM, grand-messe de l’industrie audiovisuelle internationale, c’était encore la fête aux séries sur la Croisette. Plusieurs programmes hors compétition ont été présentés par leur diffuseur : le partenaire des débuts, Canal+, avec la saison 2 de Validé et l’ultime saison de Gomorra, la coproduction internationale Le Tour du Monde en 80 Jours avec David Tennant… Beta Film, géant de la production et distribution allemande, y présentait aussi sa relecture de Sissi, qui hésite entre récit d’émancipation personnelle d’une jeune impératrice (incarnée par la Suissesse Dominique Davanport) et drame grandiloquent en costumes sur fond de conflit austro-hongrois. Une chose est sûre, le projet se nourrit du dynamisme de séries comme Downton Abbey et Bridgerton pour faire virevolter ses caméras autour d’une pléiade de personnages sculpturaux. Un cahier des charges bien rempli avant une programmation française qui devrait se faire sur une des chaînes du groupe TF1 (et on parie sur les fêtes de fin d’année par ici).
Le cru 2021 de Canneséries, après avoir visionné les dix séries « format long » (à ne pas confondre avec la catégorie « séries courtes »), ne laisse que peu de suspense quant à celle qui allait décrocher le Prix de la Meilleure Série. Mister 8, venue tout droit de Finlande, frappe d’emblée très fort avec un rencard plaisant entre Juho (Pekka Strang) et Maria (Krista Kosonen) qui se transforme rapidement en situation épineuse quand Juho découvre que celle qu’il convoite a plusieurs hommes dans sa vie. Sept, en fait, un pour chaque jour de la semaine. Et que ce petit groupe se connaît. Mais il se réunit régulièrement à l’initiative de Maria pour déterminer des règles bien spécifiques pour gérer ce ménage à huit. Juho se retrouve donc à être le huitième homme. Plongée dans une photographie monochrome classieuse mais un peu vaine, Mister 8 tire le maximum des personnalités très différentes attirées par Maria, toutes des archétypes, toutes décuplées par la force d’une distribution masculine excellente. La compétition entre eux, les côtés bossy de l’héroïne et son cadre de travail constamment overbooké et jamais à court d’énergie suffisent à tirer la série vers le haut. Un coup de maître de la part de ses créateurs Teemu Nikki et Jani Pösö, venant d’un pays nordiste peu connu pour ses comédies et ses adaptations étrangères du genre.
La deuxième grande découverte, claque qualitative qui avance masquée, est la série allemande The Allegation (venant de TVNOW, offre de streaming de la grande chaîne privée RTL, comme Sissi) qui transpose un fait divers ayant défrayé la chronique dans les années 1990 à l’époque moderne, l’affaire plus connue dans le monde de la jurisprudence locale comme procès Worms. Dans le cas de l’affaire de pédocriminalité de la série, tout part d’une accusation virale. La nouveauté vient du chemin de traverse emprunté par les deux premiers épisodes. Plutôt qu’un exposé ronflant du procès et de ses préparatifs, il décide de centrer son récit sur deux personnalités qui sont amenées à être liées à un des accusés du procès : le Docteur Schlesinger (Peter Kurth), avec sa dégaine pataude à la Maigret, un avocat brillant mais alcoolique qui est emmêlé dans des histoires de dettes de jeu envers la mafia chinoise, et Azra (Narges Rashidi, vue dans Gangs of London et véritable révélation ici), femme de main mutique qui cultive une empathie distante avec Schlesinger. La série prend beaucoup de temps dans ses deux premiers épisodes à développer les caractères de son tandem central par petites touches. Ni procédural choc, ni série judiciaire à la Good Wife, The Allegation – créée par Ferdinand von Schirach – tord son genre avec un rythme lent et une réalisation élégante pour un tour de force structurel.
Une des grosses récompenses du palmarès (Prix Spécial d’Interprétation) a été attribuée au cast entier de Countrymen, série norvégienne de la NRK qui sera diffusée en 2022 sur Arte. Elle joue sur le burlesque pour présenter une galerie de personnages musulmans qui débarque dans une contrée campagnarde norvégienne . Mais leur couverture, celle de fermiers producteurs de fromage halal, va les rattraper et mettre à mal leurs plans. Malgré de très bonnes intentions, les premiers épisodes ne font pas forcément mouche, la faute à beaucoup de quiproquos et d’apartés face caméra – censées symboliser le monologue interne – qui virent souvent dans le démonstratif. Accumulation de saynètes plaisantes mais pas vraiment touchantes, Countrymen déçoit en ne se plaçant ni dans la satire du terrorisme à la Four Lions, ni dans un portrait acerbe d’un groupuscule radicalisé qui ne sait pas vraiment tenir sa langue ni gérer le quotidien rural.
Seule représentante française de la compétition, Totems est une nouvelle production originale d’Amazon Prime Video créée par Olivier Dujols, auparavant à l’œuvre sur quelques procéduraux comme Falco pour TF1. A l’instar de Deutsch-les-Landes, première tentative de sinistre mémoire pour la plateforme, Totems, série d’espionnage se déroulant en 1965, peut compter sur une tête d’affiche en la personne de Niels Schneider, qui incarne ici Francis Mareuil, jeune père de famille et chercheur en physique nucléaire au sein d’un équivalent fictif du CEA. Son parrain, agent secret de renom (Lambert Wilson) va lui confier une mission pour entrer en contact avec un chercheur russe francophile (Aleksei Guskov). Sa fille Lyudmila (Vera Kolesnikova) est aussi recrutée en parallèle par le KGB afin de surveiller son propre père, le tout sur fond de course à l’armement. Les fonds brunâtres de la photographie et le thème des jeunes espions parachutés à l’aveugle dans un monde d’emblée très exigeant avec eux, rappellent la saison 2 d’une série plus légère d’Arte, Au Service de la France (Totems partage avec elle un producteur délégué, Mandarin Télévision). Si on peut souligner une caractérisation très proprette et sans fioritures, jouant sur les points communs de deux espions français et russes avant de les faire se rencontrer, et dessiner l’esquisse d’une romance, ainsi que des filatures sans grande surprise propres au genre, Totems se démarque un peu par une interprétation très convaincante dans l’ensemble, avec quelques seconds rôles dramatiques qui piquent la curiosité (un José Garcia très sobre en barbouze pragmatique et distant) et des intrigues secondaires surprenantes, dont une tentative d’IVG alors illégale en France.
Last but not least, une des plus franches rigolades de la compétition revient à l’Israélienne Sad City Girls, dont le packaging (son générique, ses caractérisations) a du mal à ne pas rappeler sa grande sœur yankee Broad City. La stand-uppeuse Maya Landsmann incarne Lihi, standardiste radio lesbienne en galère d’appartement à Tel-Aviv, et dans une amourette à sens unique avec sa boss. Elle forge une relation amicale avec Leah (Einat Holland), coloc de remplacement de toute dernière minute alors que la cousine de Lihi ne veut plus emménager avec elle. Leah est aussi grande gueule et menteuse que Lihi est apathique et rationnelle, et même si les deux premiers épisodes souffrent un peu d’un manque de rythme dans leur montage, les situations du tandem dès le deuxième épisode valent largement le coup d’œil. Ni trop satirique dans sa présentation des médias de Tel-Aviv, ni trop délurée (quoique), Sad City Girls érige le YOLO en dogme et se place comme un challenger énergique d’une compétition très axée sur les séries dramatiques. Elle est, hélas, repartie bredouille du palmarès.
Totems sera programmée sur Amazon Prime Video en 2022 ; Countrymen a été acquise par Arte. La saison 5 de Canneséries se tiendra du 1er au 6 avril 2022.
Crédits Photo : Countrymen © Dag Jenssen.