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Cannes 2022 l Jour 2 : Gardons l’espoir intact (c’est l’anguille qui l’a dit)

L’un des plaisirs de Cannes est d’avoir très peu d’informations sur les films. Bon nombre d’entre eux n’a ni bande annonce ni affiche et se contente d’une simple photo en guise d’appât. On se fie alors au résumé, à la réputation de celui ou celle qui réalise mais surtout à notre flair, ce qui donne potentiellement lieu à de bonnes surprises comme celles que j’ai eues ce matin. Alors on est bien d’accord, je ne suis pas Tom Cruise et on a déjà vu des cascades plus risquées, mais découvrir un film quasiment à l’aveugle est un privilège rare pour ceux qui, comme moi, suivent religieusement l’actualité cinématographique. 

Pour être honnête, l’actrice du premier film de la journée, God’s Creatures, a influencé mon choix. L’immense et trop rare Emily Watson, révélation de Breaking The Waves en 1996, trouve ici un rôle à sa mesure. Après une longue absence loin de la terre irlandaise, son fils revient s’installer dans leur petit village où vit une communauté de pêcheurs très soudés. Face à des accusations sordides, cette mère devra mettre en doute ses propres fondements pour affronter l’inconcevable. Les connotations bibliques du titre évoquent les hommes, à la fois simples mortels et pêcheurs, donnant ainsi au film une densité supplémentaire. Face à cette dualité, l’intrigue prend le temps de révéler ses enjeux dans une mise en scène tenue et subtile. Dans le rôle d’un jeune homme désinvolte malgré des dehors de fils parfait, on note la performance remarquable de Paul Mescal, découvert dans la série Normal People

Dans une autre normalité, celle du film Rodéo, Julia monte des combines pour voler des motos tout en rêvant de « cramer » (le bitume) avec une bande d’affranchis, adeptes de rodéos mécaniques. La rumeur vantait, à juste titre, les qualités techniques et artistiques de ce premier long-métrage depuis déjà quelques semaines. Lola Quivoron impressionne avec un film écorché, maîtrisé, parfois un poil trop sage pour une réalisation aussi libre. Offrant d’ébouriffants numéros de roue arrière, Rodéo donne à voir des personnages de têtes brûlées, marginaux et vénères, parfaitement joués par des acteurs débutants pour la plupart, au centre desquels brillent la prometteuse Julie Ledru. Si le parallèle avec Titane semble inévitable (une femme qui réalise un film sur une jeune femme dans un milieu motorisé a priori réservé aux hommes), la comparaison ne va pas plus loin. Là où la Palme d’Or 2021 pèche par une accumulation de scènes choc, il y a quelque chose de moins tendu et de plus fataliste chez Quivoron. Et quitte à faire des comparaisons, son film m’a plus rappelé l’univers de Romain Gavras que celui de Julia Ducournau.

Rodéo © Films du Losange.

Après ces deux séances matinales, il est grand temps d’aller regarder l’horizon sur la plage, le temps de recharger les batteries en faisant un petit roupillon que j’évite en salle (ce qu’il m’est déjà arrivé de réussir).

La suite de ma journée s’est avérée moins enthousiasmante. J’attendais avec impatience The Woodcutter Story du finlandais Mikko Myllylahti, présenté à la Semaine de la Critique. Le problème quand on nous vend un film hilarant et poétique, c’est qu’il faut assurer derrière. C’est poétique comme du Ionesco gravé dans le bois d’un cercueil avec une mine de compas, et dans la salle du Miramar, on entendait claquer les sièges plus souvent que les rires. Film très scandinave, jusque-là tout va bien, le rythme contemplatif convoque souvent Aki Kaurismaki et Roy Andersson, deux de ses maîtres contemporains, avec ses plans comme des tableaux ou des situations oscillant dangereusement entre un comique gênant et un drame tangible. Lorsqu’une anguille prend la parole pour dire qu’il faut « garder l’espoir intact », je me dis qu’il est temps de me rendre à la dernière projection de la journée, et quitte donc la salle prématurément.

James Gray, connu pour explorer le cinéma de genre depuis ses débuts, étonne ici avec un film que je qualifierai de mineur. Le cinéaste livre avec Armageddon Time un drame en forme de quête d’émancipation, très inspirée de sa propre enfance, où l’on voit un gamin choisissant de se construire par lui-même et non par le chemin qu’on voudrait tracer pour lui. On évoque l’amitié sans a priori, l’injustice, les discriminations, le formatage d’une supposée élite et l’éducation des années 1970. Les bonnes intentions, la mise en scène consciencieuse et des acteurs très impliqués ne font malgré tout pas le poids face à un récit pépère qui se repose trop sur ses réflexions.

Allez, on dit que demain j’aime la majorité de ce que je découvre, OK ? Et comme je serai confronté à un âne, de nouveaux pêcheurs, un étranger et une nuit sanglante, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas. 

Armageddon Time © 2022 Focus Features, LLC.

Crédits Photo : God’s Creatures © A24.

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