Carrefour de l'animation 2021,  Festivals

Carrefour du Cinéma d’Animation 2021 : Cinq jours de jouissance non stop-motion !

Après l’annulation malheureuse de l’édition 2020, le Carrefour du cinéma d’animation était enfin de retour du 8 au 12 décembre au Forum des images. Une édition d’une grande richesse et qui fait la part belle aux femmes à laquelle j’ai eu le privilège d’assister. 

Jour 1 : Quêtes Enthousiasmantes

C’est avec une euphorie presque juvénile que je me retrouve au Forum. L’exposition dévoilant le travail préparatoire du fantastique film La Traversée est présentée par la réalisatrice Florence Miailhe en personne, pleine de bonhomie et d’entrain malgré un micro capricieux et l’inflation de la file d’attente pour le Hosoda (qui fera salle comble). L’animatrice détaille sa technique de peinture animée : elle dessine le mouvement par transformations successives, avec une matière vibrante. Plus de 600 décors ont été peints par dix décoratrices et trois équipes ont assuré l’animation en rétro-éclairage. Le film, inspiré entre autres par Fievel et Le Nouveau Monde de Don Bluth, narre le périple de deux frères et sœurs dans une Europe en proie aux conflits : une véritable épopée initiatique au cours de laquelle ils rencontrent de touchants partenaires, mais aussi de pernicieux énergumènes. Je l’ai vu avant le festival et c’était un de mes coups de cœur de 2021, tant pour la qualité graphique de cette peinture animée que pour ce portrait humaniste de deux êtres ballottés et résilients.

L’avant-première du très attendu Belle de Mamoru Hosoda, sorti en salles le 29 Décembre dernier, a ouvert les festivités. Nous bénéficions, avant la projection, de l’interview de Tomm Moore (réalisateur des fabuleux Brendan et le secret de Kells, Le Chant de la mer et le récent Le Peuple loup). Celui-ci a collaboré avec Hosoda (les deux admirant mutuellement le travail de l’autre) en animant une des séquences du film. Il évoque notamment leur intérêt commun pour les sujets ayant trait à la spiritualité et l’animisme en particulier. Belle dresse le portrait d’une jeune fille endeuillée, extrêmement timide et complexée, dont l’alter ego virtuel (thème déjà traité par Hosoda dans Digimon et Summer Wars), façonné par une intelligence artificielle dans un autre monde, est celui d’une chanteuse dont le lyrisme enchante les masses. Ce beau récit reprend des thèmes chers au réalisateur comme la dualité, la capacité à réinvestir le monde et enchanter le quotidien, l’importance d’une famille de coeur (le garçon mutique et protecteur, l’amie spécialiste de l’informatique, le contrepoint comique des marraines), l’authenticité confrontée à la prolifération tapageuse (cf la courte séquence réalisée par Moore pour évoquer les déflagatrices rumeurs adolescentes), la violence nichée au sein du divertissement… Le choix graphique d’utiliser la 2D pour les scènes réalistes (la très réussie et parodique déclaration amoureuse montrant la difficulté de l’expression des sentiments hors connexion par exemple) et la 3D pour l’univers virtuel rend l’ensemble fluide et harmonieux.

Belle © 2021 STUDIO CHIZU.

Jour 2 : Luttes Revigorantes

Après une première soirée réussie, c’est avec une énergie non entamée que j’arrive jeudi pour un programme chargé et diversifié . Cela débute par la sélection de courts métrages intitulée « Politique et animation », composée vous l’aurez compris de films engagés. Bastien Dubois est présent pour la projection de  Souvenir, souvenir, dans lequel il transmet une vision intimiste de l’Algérie par l’évocation familiale de la guerre d’indépendance. Autre métrage que j’ai particulièrement apprécié : Long Live Belarus de Yulia Ruditskaya, très dynamique et bourgeonnant  avec ses multiples variations autour du rouge et de la fleur. On sent circuler dans ces veines végétales, avec une épatante fluidité visuelle, toute la vigoureuse et débordante vitalité d’un peuple auquel la réalisatrice rend hommage. 
J’assiste ensuite au work in progress de Allah n’est pas obligé animé par Jacques Kermabon, rédacteur en chef de la revue d’animation Blink Blank. Le film est l’adaptation du roman d’Ahmadou Kourouma, qui a bouleversé le producteur. Il s’agit de l’histoire de Birahima, enfant des rues, qui veut rejoindre sa tante au Libéria mais se fera enrôler comme enfant-soldat. Le réalisateur Zaven Najjar exprime sans aucune langue de bois l’intensité de tout le travail préparatoire, notamment la rencontre avec d’anciens combattants ou la visite de carrières de diamants. Sa volonté est de privilégier l’adaptation fidèle à l’interprétation un peu trop libre de l’oeuvre, la gageure consistant à établir un équilibre entre le décryptage politique et la présence essentielle d’enjeux émotionnels. L’autre difficulté majeure est la nécessité parfois déchirante de minimiser le temps d’apparition de personnages secondaires du livre, comme la tante Mahan, la durée du film ne permettant dans certains cas qu’une évocation hors-champ. La sortie de ce film ambitieux, au budget de 5,6 millions d’euros, est prévue en 2024.

A 20h30 a lieu l’hommage à Suzan Pitt avec la diffusion de quatre métrages : le célèbre Asparagus, Joy Street, El Doctor et Visitation. Surréaliste, effervescent, tourbillonnant, le style de la réalisatrice est unique et ses films sont impossibles à résumer tant les bifurcations et les variations d’atmosphère défient toute logique narrative. Ce théâtre onirique à l’humour dépressif de prime abord, mais finalement revigorant, me comble d’aise. La séance de 22h nous offre l’inédit The Spine of night de Philip Gelat et Morgan Galen King, inspiré esthétiquement des oeuvres de Ralph Bakshi (les sympathiques Tygra, la glace et le feu, Les Sorciers de la guerre, mais aussi l’adaptation épouvantable du premier tome du Seigneur des anneaux) en ayant recours à une rotoscopie plutôt réussie. Pour faire simple, il s’agit d’un récit épique dans un univers de dark fantasy où de nombreux personnages sont tentés d’acquérir des pouvoirs quasi-démiurgiques. C’est assez boursouflé et emphatique, mais l’intérêt n’est pas vraiment à chercher sur le plan scénaristique qui prend des allures de fourre-tout n’importe nawak. Le film est promis comme jouissif et, de fait, le pari est réussi : dans cet univers familier des amateurs de Conan, totalement premier degré, sans aucun frein sur la nudité et le gore omniprésent, sans discours méta envahissant. Dans ce monde de brutes, l’espoir et l’attachement n’ont pas leur place à l’image de ce couple édénique sacrifié lors d’une séquence importante par sa portée émotionnelle et symbolique, bien que n’ayant aucun ancrage narratif dans l’intrigue principale. Et on est content d’entendre la voix de Lucy « Xena/Spartacus » Lawless, qui assure magistralement le doublage du personnage principal.


The Spine Of The Night © Reno Productions

Jour 3 : Jubilations Délirantes 

On commence ce troisième jour de festival avec le fabuleux Cryptozoo de Dash Shaw, dans lequel on se retrouve embarqué dans un univers narratif et esthétique de toutes les surprises et virtuosités. Dans son précédent métrage My Entire High School Sinking Into The Sea (également présent au festival), on suivait le périple de lycéens tentant de sortir d’un bâtiment en train de sombrer (sorte de croisement délirant et jouissif entre L’Aventure du Poséidon et Mad Max) ; dans celui-ci, on suit une équipe d’amis des animaux tentant de créer une utopie où toutes les créatures vivraient en harmonie et protégées des dangereux et cupides traqueurs à leurs trousses. L’originalité est que ces êtres nous parviennent de contes et féeries d’origines multiples et que, de ce fait, la variété de ce merveilleux bestiaire permet toutes les audaces dans un chronotope aussi enchanteur que cruel. Visuellement, c’est un plaisir constant de couleurs pastel foisonnantes et fourmillantes à l’aquarelle ou à la gouache. 

J’assiste ensuite à la deuxième partie des courts métrages français. Gros coup de cœur pour La Fée des Roberts de Léahn Vivier-Chapas, narrant en montage alterné un cours de maintien maternel et un dressage de fauve dans une atmosphère esthétique très Jojo’s Bizarre Adventure. Mention également à Sous La Peau, l’écorce de Frank Dion et son adorable cerf évoluant dans un conte tendance méta magnifiquement mis en images.

 Enfin, dans une ambiance très détendue et une salle comble, c’est le work in progress du très attendu Mars Express de l’équipe de la formidable série Lastman, avec le réalisateur Jérémie Périn (également créateur du déjanté Crisis Jung, sorte de Ken Le Survivant dopé aux hormones), entre autres. De son propre aveu, ce rejeton bienheureux de Goldorak et Ulysse 31 aime, dans une vision burlesque, mélanger les registres lourd et subtil. L’ambitieux métrage, lui aussi plutôt destiné aux adultes, a nécessité une longue préparation. Le storyboard a pris un an. Le style se veut réaliste en 2D, mais aussi avec des éléments cartoonesques : il y a un gros travail pour les silhouettes, les hachures (notamment en ce qui concerne les mouvements), les ambiances (très variées avec des effets de contraste ensoleillé, brun, rouge signifiants…). Une grande attention a été portée à la caractérisation des personnages (les humains dessinés à la main, les robots par ordinateurs ; recours au cell shading ; on a droit à des making of de doublage à l’aveugle).  La musique est moins pulp que pour Lastman. De plus, un certain nombre de professionnels semble avoir été mobilisé pour une série d’animation qu’il ne faut pas nommer (2 indices : Netflix, dérivée d’un jeu vidéo) ! Pas mal d’embûches donc, et on n’en sait pas beaucoup plus sur l’intrigue de Mars Express, mais inutile de dire que, là encore, c’est l’un des films les plus attendus des mois à venir (si tout va bien).

Cryptozoo © Cryptid Rescues, LLC

Jour 4 : Épopées Apaisantes

Je commence cet avant-dernier jour au Carrefour du Cinéma d’Animation par le work in progress de Interdit aux chiens et aux Italiens d’Alain Ughetto, réalisateur de Jasmine en 2013, très beau documentaire biographique en stop-motion et pâte à modeler symbolisant la lutte d’une Iranienne dans le Téhéran de Khomeiny. Est aussi présente l’assistante réalisatrice Camille Rossi, animatrice notamment pour Wardi de Mats Grorud. Le film retrace l’histoire de la famille issue du village Ugheterra, dans le Piémont italien. Il y a eu une véritable enquête du réalisateur sur le périple des grands-parents. La volonté de rendre cet hommage depuis si longtemps (déjà en germe au moment de Jasmine) illustre la persévérance et la passion à l’oeuvre pour ce qui est une approche d’abord documentaire, puis transposée en trame dramaturgique (le titre illustrant les discriminations décomplexées auxquelles se sont heurtés les immigrés italiens). De nombreux aspects de la réalisation nous sont montrés : la chronologie pour les marqueurs de la narration, les désaccords autour de la nécessité du storyboard (un « tue-l’amour » selon Ughetto), les décors réalistes et modulables (composés pour certain de charbon, de brocolis et de châtaignes), les figurines (même tête, même taille, mais des détails différents comme une moustache ou une casquette)… J’assiste ensuite à l’interview à bâtons rompus en anglais de Jim Capobianco, scénariste entre autres de Ratatouille, par Alexis Hunot. Le souci est que je n’avais pas pris de casque traducteur à l’entrée et que j’ai eu du mal à suivre le dynamique débit d’un homme qui m’a paru plein d’entrain et d’autodérision. Il nous a raconté son parcours : si j’ai bien compris, il a été marqué par la vision de Blanche-Neige et les sept nains, par les comic strips, particulièrement Calvin et Hobbes et Peanuts, par Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et a trouvé un mentor en la personne d’Alexander Mackendrick. Son travail de co scénariste, notamment sur Le Roi lion et Le Bossu de Notre-Dame, lui a beaucoup appris et donné la motivation de s’orienter vers des thèmes adultes. Il se met à la réalisation pour le court Notre Ami le Rat qui sera l’inspiration de Ratatouille dont il cosigne le scénario (à six mains, dont celles du réalisateur Brad Bird). De quoi nous faire saliver en attendant la sortie de The Inventor (sur Léonard de Vinci) en 2022 !


Enfin, nous avons droit à l’avant-première du Roi cerf de Masashi Ando et Masayuki Miyaji (sortie prévue en 2022). Van, l’unique survivant d’un clan de guerriers réduit à l’état d’esclaves, s’échappe de sa prison à la suite d’une attaque de loups terrifiants, sauvant la toute jeune Yuna. On songe forcément à Princesse Mononoké et à d’autres films mêlant conflits complexes entre nations et enjeux de pouvoir sans manichéisme appuyé, rapport mystique à la nature entre symbiose apaisante et sauvagerie dévorante, ambivalence d’un savoir médicinal au service d’ambitions égoïstes mais apte à sauver ce qui reste de part d’humanité. J’ai été assez captivé par ce récit qui parvient à rester fluide , notamment grâce à son souffle épique et son lot de personnages bien caractérisés et attachants du fait des dilemmes auxquels ils doivent faire face.



Princesse Dragon © Gebeka Films.

Jour 5 : Chaleurs Réconfortantes

C’est déjà dimanche et la passion de la découverte reste intacte, la fatigue s’abattra avec le retour à la prose du labeur le lendemain. La première séance est consacrée à Princesse Dragon d’Anthony « Tot » Roux et Jean-Jacques Denis, réalisateurs de Dofus en 2015, présents sur scène pour dévoiler leur nouvel opus. Le premier évoque en toute sincérité l’importance de sa fille pour nourrir son inspiration et son aspiration à la réalisation. Poil, l’héroïne éponyme, est en effet l’enfant humanoïde d’un dragon et ses successives métamorphoses via son œuf chrysalide sont une allégorie touchante des différentes mutations de l’enfance et tout ce que cela peut engendrer d’incompréhensions, voire de conflits. L’intervieweuse met d’ailleurs en évidence l’influence sur la caractérisation des personnages, notamment le fait que les féminins (Poil, son amie la princesse, leurs adjuvantes dont la géniale Sorcenouille…) sont bien plus sympathiques et aboutis que les masculins (on reste vraiment dans l’archétype sans nuance du roi tyran et cupide et du prétendant mesquin et grotesque). Le dessin (tout en 2D sauf le dragon) est très réussi avec ses teintes douces inspirées des illustrations de contes et son beau traitement de la lumière, les teintes associées aux ambiances variant en permanence. Le récit est vif et bien rythmé, même si j’ai vraiment regretté le sous-traitement des dragons père et fils qui dorment pratiquement tout le film (ainsi que celui des pouvoirs magiques de la princesse), réduisant à peau de chagrin la dimension épique de cette belle histoire qui coche toutes les cases du classique animé pour petits et grands.


Dans la foulée, nous avons droit au film philippin Hayop Ka! The Nimfa Dimaano story d’Avid Liongoren (réalisateur du sympathique Saving Sally en 2016 dans lequel deux adolescents se retrouvent dans un univers peuplé de monstres animés incarnant leurs peurs et obstacles) sélectionné au festival d’Annecy 2021. Il est présenté comme un film corrosif, épicé, débridé dans l’esprit des séries BoJack Horseman ou South Park. Hayop Ka! signifie « Tu es un animal ! » ce qui, dans le cadre du film parodiant les telenovelas, évoque les multiples trahisons et conflits du trio formé par l’énergique et ambitieuse chatte Nimfa, son trop satisfait et musclé compagnon, le chien Roger et le donjuanesque businessman Inigo. Le canevas de soap est on ne peut plus éculé, mais le film emporte le morceau en transcendant les codes avec un sens du rythme et une énergie visuelle bluffantes et c’est avec un enthousiasme constant que j’ai suivi les (més)aventures de la très attachante Nimfa et de ses camarades, dont une grenouille dévouée et un animateur de radio bovin particulièrement impitoyable dans ses jugements moraux (ce qui est peut-être une réalité de la société philippine).

 Lors de la soirée de clôture nous est présenté le Cadavre exquis animé par 10 écoles et son making-of, en présence de Florence Miailhe qui a dessiné le motif de base (une femme, un arbre, un chat, un oiseau…) : on peut constater la maîtrise déjà impressionnante de ces étudiants ainsi que la variété formelle et thématique de ces métrages de 10 secondes réalisés durant le festival.

Puis c’est (déjà !) le film de clôture Ma Famille afghane (sortie prévue le 27 avril) de Michaela Pavlatova (dont je recommande le très inventif Words, Words, Words ou le déjanté Tram), après une présentation joyeuse par la réalisatrice enveloppée dans son élégante et chatoyante écharpe prêtée par Florence Miailhe. Ce très beau film, prix du jury à Annecy, nous narre le parcours d’une jeune Tchèque partie en Afghanistan avec l’homme qu’elle aime et qui, tout en se voyant confrontée à des moeurs nettement moins libérales en ce qui concerne les droits des femmes, va trouver sa place au sein de la famille chaleureuse de son époux. J’ai vraiment apprécié la variété et la profondeur de caractérisation des différents protagonistes, que ce soit le patriarche plus aimant que rigide, les personnages féminins assoiffés de liberté dans ce carcan aride, le mari torturé entre amour véritable et poids des traditions…C’est un petit miracle que de nous plonger dans ce foyer en évitant l’écueil du manichéisme, dans le cadre d’une histoire forcément émaillée de ces tragédies tristement banales. 

Ces cinq jours auront été une véritable parenthèse enchantée. Je suis très friand de cinéma d’animation et force est de constater que la sélection a été formidable, les invités aussi prestigieux qu’avenants, les conférences pleines d’enseignement sur ce qu’est la réalité laborieuse des professionnels de ce cinéma de niche qui ne devrait pas l’être, les aléas de la distribution marginalisant trop souvent ces propositions. Un grand merci et à l’année prochaine !

Ma Famille Afghane © NEGATIV_S.R.O–SACREBLEU_PRODUCTIONS–BFILM_S.R.O.–ČESKÁ_TELEVIZE–ALKAY_ANIMATION_PRAGUE_S.R.O.–GAOSHAN_PICTURES–INNERVISION_2021

Remerciements à l’équipe organisatrice totalement dévouée à la cause de ce cinéma (et notamment l’animation pour adultes encore si mal distribuée et reconnue) et investie durant le festival. Mention spéciale à Diana-Odile Lestage pour son chaleureux accueil et sa disponibilité.

Crédits Photo : Affiche du Carrefour du Cinéma d’Animation © D. R.

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