Champs-Elysées Film Festival 2018,  Festivals

Champs-Elysées Film Festival : Black lives matter, bordel !

Avec l’avènement des réseaux sociaux et du partage d’informations à la seconde, certaines questions sociales ont récemment gagné en visibilité. Depuis quelques années, la situation des Afro-américains et le racisme latent inquiètent et gagnent une médiatisation légitime. Get Out, Fruitvale Station, Luke Cage, Chi-Raq et bien d’autres sont le reflet de ces inquiétudes. Être noir aux Etats-Unis, même en 2018, constitue encore et toujours un risque. Le quotidien des Afro-américains n’est pas paisible, et le Champs-Elysées Film Festival en a bien conscience. Chacun à sa manière, Hale County This Morning,This Evening et My Name is Myeisha s’intéressent à la question. Le premier avec poésie et une sérénité désabusée, l’autre avec une inquiétude bouleversante.

Hale County This Morning, This Evening, de RaMell Ross
Avec un basketteur plein de rêves, un jeune papa et sa femme épuisée, un enfant qui s’en va et qui revient et qui s’en va et qui revient (ad lib) et un Alabama vibrant.

Hale County This Morning,This Evening © Louverture Films

En 2009, le photographe RaMell Ross part en Alabama enseigner son art et coacher de jeunes basketteurs. C’est à Hale County qu’il rencontre Daniel et Quincy. Toujours désireux de capturer l’instant présent, Ross se met à les filmer, jour après jour. Ce tournage improvisé durera cinq ans. Pendant toutes ces années, le photographe observe leur quotidien, s’intéresse à leur rêve, scrute les étapes charnières de leur vie. De ces milliers d’heures de rush, Ross a fait un film d’une heure et quart. Une heure et quart pour dépeindre la vie à Hale County. On ne peut pas imaginer le quotidien d’un noir en Alabama si on est pas soi-même noir en Alabama”, affirme le réalisateur après la séance. Nous n’avons aucun mal à le croire, mais aurions vraiment aimé que son film nous aide davantage à nous en rendre compte. Hale County This Morning, This Evening est constitué de nombreux fragments de la vie de Daniel et Quincy, placés les uns à la suite des autres, dans un ordre sans doute chronologique mais sans véritable lien narratif apparent. L’influence du passé sportif de Ross se fait bien sentir, tant ses images sont marquées par la notion de mouvement (en témoigne cette scène où un très jeune enfant court en rond dans son salon). Mais le réalisateur ne nous prend jamais par la main et nous laisse, souvent perplexes, face à son kaléidoscope d’images. Une spectatrice, véritablement enjouée, a témoigné de “sa grande émotion face à ce film d’une grande poésie”. On le croit sans peine. Peut-être avons-nous davantage besoin de storytelling que nous le pensions. Hale County dresse un portrait attachant de cette région très pauvre. On aurait juste aimé qu’elle nous paraisse, en fin de séance, un peu moins étrangère.

My Name is Myeisha, de Gus Krieger

Conte dés-enchanté. Avec Rhaechyl Walker, John Merchant, des beats, du flow et un sens bien conscient du tragique.

My Name is Myeisha © EchoWolf Productions

My Name is Myeisha bouleverse dès les premières images. S’il est adapté d’une pièce de théâtre (Dreamscape, de Rickerby Hinds), le film de Gus Krieger est avant tout né de multiples faits divers tragiques, en particulier celui de Tyisha Miller. En 1998, la jeune femme de 19 ans, dont la voiture avait crevé sur le chemin d’une boîte de nuit, a été retrouvée inconsciente dans son véhicule, dans un coin craignos, à proximité d’une station service, un flingue sur les genoux. Appelés pour la secourir, les policiers finiront par l’abattre de douze balles dans son sommeil, devant ses amis. My Name is Myeisha prend pour point de départ cette horrible histoire et lui ajoute une trame fantastique. Alors qu’elle est vouée à s’arrêter plus tôt que prévue, la vie de Myeisha nous est contée, à travers ses étapes charnières, sous la forme d’une comédie musicale hip-hop. Avec une maestria impressionnante, les deux artistes principaux (Rhaechyl Walker et John Merchant, tous deux fascinants) retracent le parcours d’une vie paisible qui n’avait pas à s’interrompre de la sorte. « Ce soir là, j’aurais aimé être une femme blanche, qu’on me demande si tout va bien et qu’on me propose de me raccompagner chez moi. Mais ce soir, comme tous les autres soirs, je suis noire ». My Name is Myeisha est une déclaration d’amour à la vie, toutes les vies, et rappelle à sa manière, pour qui pourrait en douter, que « Black Lives Matter ». Car si on en parle énormément depuis quelques années grâce aux informations relayées par Internet et les réseaux sociaux, les crimes notamment policiers envers la communauté noire américaine ont toujours existé. En 1998, Internet, en revanche, n’existait pas et personne n’a pu s’indigner du sort accordé à Tyisha Miller. C’est désormais chose faite, et la réalisation n’aurait pu être plus touchante et plus intelligente. Sans jamais diaboliser la police, le film de Gus Krieger interroge les raisons qui ont pu pousser trois policiers à vider leurs chargeurs sur une femme inconsciente. « Si la police frappe à ma fenêtre, c’est qu’ils sont venus me secourir… non ? ». La candeur et la joie de vivre de Myeisha touchent en plein cœur et nous laissent désemparés, un cruel sentiment d’impuissance au fond des tripes, mais pourtant émus d’avoir pu partager le quotidien (même fictif) d’une belle âme. Notre coup de cœur du festival, sans hésiter.

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

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