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Iron Claw : Fils de foire

Après Martha Marcy May Marlene (2011) et The Nest (2020), le réalisateur canadien Sean Durkin dresse dans Iron Claw le portrait funeste de l’emblématique famille Von Erich, qui a marqué l’histoire du catch au début des eighties. Coupes mulet, slips, ring, mais surtout père tyrannique, fratrie détruite et larmes au programme.

Totalement ignorante de l’existence et de l’histoire de la famille Von Erich, je me suis rendue à la projection en souhaitant voir avant tout les transformations physiques, qu’on nous a promis impressionnantes, de Jeremy Allen White et Zac Efron, affublés de coupes mulet et de slips colorés pour l’occasion, et les voir se bastonner pour de faux sur un ring. Je n’attendais pas grand chose de ce biopic, si ce n’est ragaillardir l’air de rien mes rétines en contemplant son casting et en apprendre un peu plus sur cette discipline lunaire qui oscille entre sport de combat et show scénarisé, peuplée de mâles boostés par des codes virilistes aussi chiqués que dépassés, de corps bodybuildés et de costumes cheaps dans des bastons en carton dont l’issue se mesure plus à l’éloquence et au fan club de tel ou tel catcheur qu’à la loi du plus fort. Mais au-delà de cette plongée dans l’univers du catch et de ses magouilles dictées par le flouze et la télévision, ma surprise fut grande de découvrir qu’Iron Claw s’attèle en réalité à dépeindre le portrait d’une famille totalement soumise à un patriarche tyrannique, Fritz Von Erich (terrassant Holt McCallany), ancien catcheur passé à côté du titre de champion du monde prêt à sacrifier ses quatre rejetons sur le ring pour obtenir la précieuse ceinture dorée. N’hésitant pas à classer ses fils par ordre de préférence, ajoutant en grand prince que le « classement peut changer » pour mieux les mettre en concurrence, ce daron exécrable et inhumain traite ses enfants comme des bêtes de foire, tandis que la fratrie, à notre grand dam, encaisse et obtempère sans sourciller. Il faut dire que le père Von Erich ne cesse de leurs répéter que leur famille est maudite, et que leur « grandeur se mesurera à [leur] réaction face à l’adversité ». Une malédiction dont nous comprenons bien avant les frères qu’elle trouve son unique source chez le père, exploitant ses fils sous couvert du mérite et de la gloire familiale, plutôt que dans un quelconque destin tragique tracé d’avance.

Tandis que chaque membre de la fratrie (quatre dans le film, six en réalité – Jack Jr. apparaît seulement dans la séquence d’ouverture et Chris a été complètement retiré du récit) se sacrifie tour à tour pour tenter d’assouvir le rêve du père en dépit de leurs santés physiques et mentales, Iron Claw déroule sous nos yeux embués les nombreuses et foudroyantes tragédies qui ont frappé les Von Erich – certaines ont cependant été retirées du scénario, évitant ainsi le surplus dramatique dont le curseur est déjà haut, mais habilement maîtrisé -, s’auto-dévorant dans la spirale de masculinité toxique et dominante déclenchée par la main de fer du vampirique Fritz, qu’on a envie d’emplafonner tout au long du film. Seul Kevin (Zac Efron), mis rapidement de côté par son père au profit de chacun de ses jeunes frères pour devenir champion, parvient à s’extirper de ce cocon dénué de sentiments et d’humanité et trouve son salut dans les bras de Pam (Lily James), jeune femme qui va lui inculquer les valeurs véritables de l’amour et de la famille. Physiquement métamorphosé, Zac Efron incarne avec finesse et intériorité ce personnage brisé, résilié et à la sensibilité écorchée dont les (trop) larges épaules peinent à tenir les maux et les drames qui balayent ses frères. Le reste des acteurs campant la fratrie n’est jamais en reste, Jeremy Allen White et Harris Dickinson en tête, tous plus convaincants les uns que les autres dans des prestations dont émanent une profonde complexité derrière leurs biscotos, entre sensibilité et fragilité. On est chamboulés d’un bout à l’autre de cette tragédie grecque à l’esthétique soignée, qui revêt par endroit des airs de péplum contemporain, et l’on est subtilement mis K.O par Sean Durkin qui signe là un petit bijou bouleversant qu’on penserait exagéré s’il émanait de l’esprit d’un scénariste et non de faits réels.

Réalisé par Sean Durkin. Avec Zac Efron, Harris Dickinson, Jeremy Allen White… Grande-Bretagne, États-Unis. 02h13. Genres : Biopic, Drame. Distributeur : Metropolitan FilmExport. Sortie le 24 Janvier 2024.

Crédits Photo : © Metropolitan FilmExport.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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