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Daaaaaali ! : La boulangère, la journaliste, le peintre et ses doubles

Une journaliste rencontre le célèbre peintre Salvador Dali afin de dresser son portrait. Le pitch est ténu et pour le moins mystérieux. Ni drame, ni biopic, Daaaaaali ! se vit comme le portrait-puzzle facétieux d’un artiste haut en couleur. Quentin Dupieux prouve avec ce film surprenant que son style reste inimitable et qu’il sait se renouveler.

Spectateurs, si vous souhaitez connaître la vie et l’œuvre de Salvador Dali en visionnant ce film, passez votre chemin. Puisque Quentin Dupieux ne vous donnera ni éléments historiques, ni précisions picturales. A l’image du I’m Not There de Todd Haynes (biopic expérimental autour de Bob Dylan), Dupieux livre un hommage sincère au peintre surréaliste avec une vision toute personnelle de l’artiste. Au cœur de déambulations labyrinthiques dans des décors clins d’œil à De Chirico et Dali, le cinéaste baigne son film de sa lumière pâle signature qui habille naturellement les images de cette crique méditerranéenne. On reconnaîtra bien sûr des tableaux de l’artiste espagnol avec La Fontaine Nécrophilique Coulant d’un Piano à Queue qui ouvre le film avec un plan fixe de plusieurs minutes (osé pour un film d’1h17) qui annonce la couleur : la temporalité est un jeu, le temps s’étire et se compresse à l’envi, tout n’est que rêve et, pourquoi pas, sommes-nous peut-être nous-mêmes en train de rêver. 

Anaïs Demoustier interprète une journaliste déterminée à réaliser un portrait sensationnel de Dali, donc. Une quête désespérée qui se solde à chaque fois par un échec cuisant, qui ne l’empêchera pas de s’acharner, au rythme du thème musical entêtant de Thomas Bangalter. Elle rencontre d’abord Dali-Baer, qui fait une entrée remarquée et hilarante dans le couloir d’un hôtel. C’est ensuite le tour de Dali-Cohen, puis de Dali-Lellouche ou encore de Dali-Marmaï. Chaque acteur, qui n’a pas croisé les autres sur le tournage, livre une interprétation personnelle du peintre mégalo ; multiples sosies affublés de la diction et de la silhouette emblématiques de l’original. Des personnages entourés par une avalanche de guests réjouissante (Jérôme Niel, Agnès Hurstel, Hakim Jemili, pour ne citer qu’eux).

Mais de quoi parle donc le film s’il n’est pas un biopic ? Vaste question, que l’on se pose tout au long de ce projet extravagant. S’il ne faut pas y chercher une ligne scénaristique conductrice, on peut en revanche y voir un geste de cinéma. Le surréalisme et l’absurde ont toujours infusé le cinéma de Dupieux, et les saillies buñueliennes sont nombreuses au détour de séquences de dîners ou de rêves. Cocteau et Lynch sont également convoqués, avec des effets spéciaux tels que le filmage et le son “à l’envers” qui ont marqué l’univers du trucage dans La Belle et La Bête ou la fameuse scène de la Black Lodge de Twin Peaks. Dupieux compose son propre tableau, et s’adresse directement au spectateur par écrans interposés, en écho à son Réalité de 2014. Entre deux grimaces, il ouvre une réflexion mélancolique autour du passage du temps, du couloir (matériel et spirituel) entre les âges et la mort, apportant une touche de gravité qui laisse penser que le réalisateur se projette peut-être lui aussi dans la figure du peintre. Mais c’est bien le rire qui domine, et les spectateurs ne s’esclaffent pas tous pendant les mêmes séquences, puisqu’il ne s’agit pas de gags à proprement parler, ce qui crée une atmosphère singulière dans la salle de cinéma, décalage de bon ton pour ce film inclassable. Et, au sein même de cette absurdité, Dupieux s’amuse, car dans un univers où l’on passe d’un paysage à l’autre en entrant dans un tunnel sur des rochers en bord de mer, il faut tout de même brancher le téléphone pour qu’il fonctionne. Et au bout du fil, la journaliste-boulangère complètement à l’ouest qui finira par dresser son propre portrait. Le réalisateur ne prétend pas côtoyer la virtuosité de Yannick, sommet de comédie et de noirceur. Daaaaaali ! est un film plus mineur, plus bizarre, laboratoire d’expériences filmiques en cohérence avec les tout débuts de Nonfilm (premier moyen-métrage du réalisateur dont le héros se prénommait Pattt, avec les trois “t”!). Un délicieux long-métrage qui célèbre L’Art pour l’Art, servi par Duuuuuupieux.

Réalisé par Quentin Dupieux. Avec Anaïs Demoustier, Gilles Lellouche, Édouard Baer… France. 01h17. Genre : Comédie. Distributeur : Diaphana Distribution. Sortie le 7 Février 2024.

Crédits Photo : © 2023 Atelier de Production. 

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