L’Innocence : Le Labyrinthe de Kore-Eda
Après Les Bonnes Étoiles (2022) et la série Makanai : Dans la cuisine des Maiko sortie sur Netflix (qu’on vous recommande chaudement), Hirokazu Kore-Eda confirme une nouvelle fois son statut de cinéaste enchanteur avec L’Innocence, drame social labyrinthique auréolé du Prix du Scénario au Festival de Cannes 2023.
Le comportement de Minato (Soya Kurokawa), 12 ans, préoccupe de plus en plus sa mère Saori (Sakura Andô), qui l’élève seule depuis le décès de son époux. Elle décide alors de confronter l’équipe éducative de l’école de Minato, et tout semble désigner un des professeurs comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que le récit se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée qu’il n’y paraît… Construit en trois actes, L’Innocence se joue habilement du spectateur, nous faisant avancer à tâtons sur de nombreuses fausses pistes, laissant échapper nos conclusions hâtives et impressions primaires sur une situation dont on a au départ ni les tenants, ni les aboutissants. Notre opinion se forge avec la matière que nous offre le film, notre intuition et nos premières impressions sur tel ou tel personnage, avant que nos convictions ne soient totalement déconstruites à mesure que se multiplient les points de vue et les séquences rejouées d’un protagoniste à l’autre. La déconstruction narrative de L’Innocence nous permet alors de reconstruire le puzzle de l’histoire, qui ne sera pas sans dommages collatéraux pour le spectateur lorsqu’il sort du brouillard.
Appuyées par un casting et un montage épatants, les nuances et la compréhension de chaque protagoniste nous sont progressivement montrées et nous mettent face au mécanisme inconscient du jugement, nous laissant honteux d’avoir fait tant de raccourcis et d’avoir été manipulés par un scénario aussi brillant. Hirokazu Kore-Eda nous balade subtilement, saupoudrant une nouvelle fois son projet de ses thèmes de prédilections comme le cocon familial, la quête d’identité et une réflexion autour du jugement hâtif. Le motif du monstre plane également sur l’intégralité de L’Innocence, dont le titre original est d’ailleurs Kaibutsu (« monstre » en japonais), du fait que chaque personnage revêt à un niveau différent cette caractéristique dans l’intrigue, du professeur bouc émissaire à la proviseure froide, en passant par l’élève énigmatique. On est ici encore dans les préjugés avant que cette monstruosité se révèle être finalement une métaphore de nos angoisses sociales modernes. Et si la structure narrative n’évite pas quelques répétitions et frôle le prévisible, c’est bien le dernier tiers du film qui livre les véritables premiers enjeux du film, tardifs mais efficaces. Focalisé sur Minato et son camarade de classe Eri (Hinata Hiiragi), le troisième acte éclatant de L’Innocence se révèle le plus émouvant. S’il démarre comme un thriller social, le film se mue dans son dénouement en un drame ultra romanesque avec une jolie leçon sur l’éducation léguée à nos enfants et les failles de la condition humaine. Avec sa bienveillance qu’on lui connaît et l’élégance de sa mise en scène colorée, Hirokazu Kore-Eda nous cueille et nous permet par ailleurs de se délecter une dernière fois, à titre posthume, d’une bande originale composée par Ryuichi Sakamoto, à qui le film est d’ailleurs dédié, brillant musicien et compositeur japonais qui nous a quitté en mars 2023.
Réalisé par Hirokazu Kore-Eda. Avec Sakura Andô, Eita Nagayama, Soya Kurokawa… Japon. 02h06. Genres : Drame, Thriller. Distributeur : Le Pacte. Prix du Scénario et Queer Palm au Festival de Cannes 2023. Sortie le 27 Décembre 2023.
Crédits Photo : © 2023 Monster Film Committee.