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Sound of Metal : Le monde du silence

Avec Sound of Metal, Darius Marder, à qui l’on doit notamment le scénario de The Place Beyond the Pines (2013) réalisé par Derek Cianfrance, livre son premier long métrage de fiction. Auréolé fin avril de l’Oscar du Meilleur Son et celui du Meilleur Montage, ce projet intense captive par sa conception sonore immersive et la performance brillante de son interprète principal.

Ruben (Riz Ahmed) et Lou (Olivia Cooke), ensemble à la ville comme à la scène, sillonnent les Etats-Unis entre deux concerts. Un soir, Ruben est gêné par des acouphènes et un médecin lui annonce qu’il sera bientôt sourd. Désemparé, Ruben va devoir prendre une décision qui changera sa vie à jamais.

Sound of Metal s’ouvre sur une longue séquence tonitruante de Ruben, batteur de rock aux cheveux peroxydés, accompagnant sa compagne Lou, qui enflamme le public avec ses riffs de guitare électrique et sa voix vociférante. Cette introduction brutale et forte en décibels contraste avec la séquence suivante, au lendemain du concert, où l’on retrouve nos deux musiciens blottis l’un contre l’autre dans une caravane bercée par le calme. Une scène matinale douce et silencieuse se terminant par quelques notes jazzy qui font onduler les personnages. L’acouphène momentané de Ruben est le seul trait commun à ces deux scènes conçues pour contraster l’une avec l’autre. En effet, on comprend rapidement que le film ne traitera pas de musique ni de scène mais de résistance, celle d’un musicien qui perd l’ouïe et fera tout pour retrouver sa vie d’avant. Est-ce une mauvaise chose de s’attacher à sa vie antérieure alors que l’issue est inéluctable ? Ce questionnement interne est montré tout au long du film avec beaucoup de délicatesse par le réalisateur, qui choisit de se concentrer ici sur les sentiments contraires du protagoniste avant d’atteindre la résilience.

Délicate, parfois fébrile, la caméra donne constamment la sensation d’entrer dans la tête de Ruben, notamment lors des premières manifestations des symptômes de surdité. Alors que la panique croît en Ruben, les plans moyens vont progressivement devenir des plans serrés, au diapason de la dégradation de son ouïe. Un choix de mise en scène vu et revu, mais terriblement efficace qui parvient à conjuguer le sensationnel et l’empathie psychologique avec le personnage. L’intensité de l’expérience Sound of Metal ne s’arrête pas là. La réalité auditive est altérée graduellement jusqu’au silence complet pour Ruben, comme pour le spectateur, qui partage donc l’expérience traumatique du musicien de façon viscérale. Les effets sonores qui imitent les différentes étapes de la perte auditive créent ainsi une immersion surprenante. La connexion émotionnelle est spontanée, en sachant de plus que Ruben lutte pour conserver sa sobriété depuis quatre ans. Mais ne vous inquiétez pas, on est (très) loin du stéréotype du toxicomane en rechute face à l’adversité. Et on apprécie l’effort. Sound of Metal s’attèle à suivre le cheminement interne de Ruben vers l’acceptation de son handicap, avec en arrière-plan la connaissance de ses antécédents. Point.

La partie la plus émouvante se situe au milieu du film, lorsque Ruben rejoint pour un séjour prolongé une communauté de personnes sourdes avec à sa tête Joe, interprété avec brio par Paul Raci. Un segment qui donne place à quelques moments de grâce, comme par exemple lorsqu’un enfant sourd pose sa tête sur le haut d’un toboggan où Ruben tambourine, afin d’en ressentir les ondes. C’est également là que se déploie pleinement le talent de Riz Ahmed (Night Call, Les Frères Sisters), que l’on a jusque là surtout vu dans des seconds rôles au cinéma. Regard intense et jeu sobre, le comédien britannique est incandescent dans Sound of Metal. Il parvient à donner à son personnage une palette de nuances juste et équilibrée, entre vulnérabilité et rage, sans jamais tomber dans le pathos. Une performance qui fera date à n’en pas douter. Vous l’aurez donc compris, Sound of Metal n’est pas un film joyeux par son sujet, mais il n’en reste pas moins un film réjouissant par son audace. L’hallucinante performance de sa tête d’affiche et son expérience sensorielle radicale méritent d’autre part pleinement d’être découvertes dans les salles obscures.

Réalisé par Darius Marder. Avec Riz Ahmed, Olivia Cooke, Paul Raci… Etats-Unis, Belgique. 02h02. Genre : Drame. Distributeur : Tandem. Sortie le 16 Juin 2021.

Crédits Photo : © Tandem Films.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag & Boum! Bang!, elle est rédactrice chez Les Écrans Terribles depuis 2018.

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