Musique et Cinéma

La musique au cinéma : Dialogue avec Hugo Gonzalez-Pioli

En tant que réalisateur, je m’interroge beaucoup sur la place accordée à la musique au cinéma, et celle qu’elle devrait avoir dans mes films. Élément essentiel et toujours mystérieux, la musique fascine autant qu’elle repousse. Quelle place doit-elle prendre dans le geste de mise en scène ? Que se joue-t-il dans l’acte de création musicale pour le cinéma ? J’ai voulu en parler avec le compositeur Hugo Gonzalez-Pioli, collègue et ami avec qui j’ai collaboré à plusieurs reprises. L’occasion d’échanger concrètement sur sa méthode de travail, ses réflexions par rapport au métier, ainsi que sur notre passion commune pour la musique de films. 

Propos recueillis par Alexandre Lança

Alexandre Lança : À quelle étape de fabrication arrives-tu sur un projet ? 

Hugo Gonzalez-Pioli : Le mieux est d’être impliqué le plus tôt possible. Le rapport à l’image reste fondamental, donc je ne composerai pas avant d’avoir vu le montage, mais le fait de lire le scénario en amont permet déjà de prendre ses marques dans la singularité, le point de vue et l’univers du film. Je commence à avoir quelques inspirations, quelques notes qui germent. Cette partie est presque aussi importante que la composition en elle-même, car ça permet une maturité. Et lorsque le temps de l’écriture de la musique arrive, tout est plus précis. Je n’arrive pas vierge. Mais cela demande d’incorporer le ou la compositeur.trice en amont du processus créatif. 

AL : C’est très peu le cas ? 

HGP : En France, on ne parle peut-être pas assez du métier de compositeur dans les écoles de cinéma françaises. On n’a pas toujours conscience du rôle et de la place primordiale que peut avoir la musique. On y pense pas assez d’un point de vue artistique, mais pas non plus d’un point de vue financier. Les budgets se réduisent, et on doit souvent sacrifier des choses, se débrouiller avec moins. C’est dommage, mais d’un autre côté ça nous pousse à trouver de nouvelles solutions qui peuvent être très créatives, comme par exemple mélanger des sons synthétiques ou électroniques avec de vrais musiciens. 

AL : Pourquoi penses-tu qu’on ne parle pas assez de la musique de cinéma en France ? 

HGP : Je crois que c’est culturel. C’est un héritage. On va parler du scénario, du montage, de la direction d’acteurs – et c’est bien sûr essentiel – mais très peu du rôle de la musique. D’ailleurs, même son absence est un choix artistique. C’est important de se poser la question : pourquoi en mettre, à quel moment, avec quelles intentions ? La musique cristallise un point de vue et a une identité propre, presque indépendante. Peut-être que cette défiance est liée à l’importance du naturalisme, ou à la Nouvelle Vague. 

AL : Et pourtant il y avait beaucoup de musique dans les films de la Nouvelle Vague. Godard y a énormément réfléchi et l’a beaucoup utilisé. 

HGP : Il y a eu un courant ces dernières années dans le cinéma français, très naturaliste, très brut, dans lequel la musique a moins sa place. C’est peut-être ce corpus-là, cette esthétique que l’on transmet dans les écoles. C’est presque devenu un canon : le cinéma français n’a pas de musique originale, comme une identité. Il y a une crainte qu’elle prenne trop de place sur la mise en scène, qu’elle vienne la menacer ou la commenter. Je peux comprendre que cela puisse faire peur : c’est une autre matière, une autre vision. Ça donne une vraie direction. 

AL : Justement, comment échanges-tu avec les réalisateurs lorsque tu collabores avec eux ? 

HGP : La façon de travailler a changé. Aujourd’hui, je commence par une maquette digitale. Je peux directement te faire écouter le son de tel ou tel instrument. C’est même devenu une sorte d’exigence : les cinéastes veulent entendre la musique telle qu’elle va sonner dans sa version définitive, alors que c’est encore une maquette. Il y a un besoin de se projeter, et ce même quand un enregistrement aura lieu plus tard, avec de vrais instruments et de vrais interprètes. Le numérique a changé le rapport à l’attente, à la construction progressive. Certains compositeurs regrettent cette période, mais moi je trouve cela plutôt bien. Il y a un tel degré de singularité, d’originalité pour chaque scène de chaque film, qu’il est nécessaire pour moi de dialoguer en amont avec le réalisateur, de lui proposer et de chercher avec lui. 

AL : Cette précision très tôt dans le processus te convient ? 

HGP : Je trouve ça bien, mais il faut que ça reste cohérent. Dans une relation saine avec le réalisateur, la confiance doit rester le moteur. Il faut qu’il y ait un respect et une compréhension mutuelle. Avec les outils d’aujourd’hui, on peut maquetter un morceau de façon très réaliste, dans une finalisation quasi-définitive. Cela conduit à des abus. Récemment on m’avait demandé, pour une même séquence, de composer 3 ou 4 musiques, pour que le réalisateur vienne choisir celle qu’il préférait. J’ai refusé et on a travaillé à partir d’une première proposition, en faisant des allers-retours, en cherchant ensemble. Ça a très bien marché. 

AL : C’est comme si tu allais voir ton chef décorateur en lui demandant de construire différentes versions de la chambre du personnage principal, et puis après tu choisis. 

HGP : Exactement. Ça ne viendrait jamais à l’esprit de demander ça pour un autre corps de métier. 

AL : Pourquoi penses-tu que cette particularité de traitement existe avec la musique ? 

HGP: Parce que tout le monde sait que les outils existent. Mais ce n’est pas parce qu’ils existent qu’il faut se faire dominer par eux. Il faut une méthode. J’ai une approche artistique, je réfléchis en terme de timbre et d’intention : les choix de notes ont un sens, les instruments ont une signification. Cela n’empêche pas d’être flexible, de bifurquer, de changer d’avis, de revenir en arrière. Mais c’est le fruit d’une recherche, et pas juste un catalogue d’options. On cherche la justesse ensemble, puis on passe en enregistrement. 

AL : Avec la précision technologique d’aujourd’hui, est-ce qu’il y a toujours une différence majeure entre une musique conçue électroniquement en reproduisant les timbres (donc une musique orchestrale maquettée), et une musique enregistrée par de vrais musiciens ? 

HGP : Ça n’a rien à voir ! Il y a un supplément d’âme qui est amené. Tout est sublimé. C’est le jour et la nuit. Et ce, même quand le compositeur va au bout de sa maquette, jusqu’aux finitions. Ce sera bien mais pas comparable en terme de vie et de texture. Il y a cette association d’humains qui jouent ensemble, ce groupe qui crée cette énergie, cette dynamique que l’on ne pourra jamais reproduire avec une maquette, même parfaitement aboutie. Et heureusement d’ailleurs ! Ce serait triste de remplacer de vrais musiciens par des machines. Si tu fais venir un violoniste ou un guitariste pour faire un solo, c’est impossible à reproduire. Et puis en plus, je sélectionne l’interprète car je sais comment il joue, je sais ce qu’il sait faire. 

AL : Et est-ce que tu diriges ensuite les musiciens, en leur demandant telle ou telle énergie ? 

HGP : Généralement, quand j’écris de la musique, j’ai en tête l’interprète et son style. Je sais ce qu’il me faut. Donc je laisse jouer, on fait plusieurs passes, puis on commence à affiner. Quand les musiciens jouent, j’ai l’image du film en direct dans ma cabine, afin de voir comment réagit organiquement la musique avec l’image. Est-ce que ça prend trop de place, ou pas assez ? Est-ce que c’est juste ? C’est comme ça que je travaille, avec le film sous les yeux, afin que le mariage soit le plus complet. Et le plus heureux ! Parfois, j’ai un dialogue sur les intentions avec les musiciens, et ça devient comme une traduction. Je pense en émotions, mais je ne vais pas l’exprimer comme cela. Si je pense qu’il faut que ce soit plus triste, je vais le traduire en langage musical. Par exemple, avec un violon, je vais travailler le vibrato, pour qu’il soit plus ou moins tenu. 

AL : J’ai l’impression que ça pourrait se rapprocher de la direction d’acteurs. 

HGP : Effectivement, je pense que ça ne doit pas en être loin. On utilise le même vocabulaire : on travaille avec les mêmes émotions. L’intention est la même, puis chacun l’exprime avec les outils qui lui sont propres. C’est important d’être précis et concret. Si je dis au violoniste « Refais-la moi un peu plus dépressive, steuplaît », il va prendre son violon et me le casser sur la tête. 

AL : Ça fait longtemps qu’on se connaît. Est-ce que la fidélité est importante dans ton travail ? 

HGP : Ça s’inscrit dans une tradition assez ancienne de collaboration qui se construit sur plusieurs films. Il y a beaucoup de duos cinéastes/compositeurs iconiques en France : Jacques Demy et Michel Legrand, Claude Lelouch et Francis Lai, Claude Sautet et Philippe Sarde. Plus récemment, Rebecca Zlotowski et Rob … Il y en a énormément. Toi et moi on a fait plusieurs films ensemble, ça permet d’aller plus vite dans le processus. Ce n’est pas la même approche qu’avec un projet unique. Il y a un historique qui est commun, et on voudra essayer autre chose, prendre plus de risques. D’aller plus loin. 

Crédits Photo : © D. R.

Alexandre Lança est scénariste et réalisateur. Il considère Oprah Winfrey et J.K Rowling comme ses mères adoptives et est l'heureux possesseur d'un Dracaufeu shiny niveau 100. Depuis 2017, il est également membre élu au bureau de la Société des Réalisateurs de Films (SRF).

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