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The Sweet East : Lillian au Pays des Déviants

Pour son premier long métrage en tant que réalisateur, le directeur de la photographie Sean Price Williams livre une comédie initiatique douce-amère sur l’Amérique post-Trump. Un conte de fées désenchanté auréolé du Prix du Jury et du Prix de la Révélation au Festival de Deauville 2023.

Lillian (Talia Ryder, hypnotique), lycéenne dans une petite ville de la côte Est des États-Unis, s’ennuie pas mal dans la vie. C’est un voyage de classe à Washington, et plus particulièrement une alerte terroriste dans le sous-sol d’une pizzeria (nous rappelant le Pizzagate de 2016), qui lui permet d’échapper à son quotidien morose et d’embarquer dans une odyssée picaresque aux confins de l’Est américain. Non sans rappeler l’œuvre culte de Lewis Carroll, The Sweet East et la « Alice » de Sean Price Williams démarrent leur épopée par la fameuse rencontre avec le lapin blanc, qui prend ici les traits d’un punk antifasciste déglingué et peroxydé, que l’héroïne suit dans son terrier jusqu’à un squat d’activistes. Une première rencontre bientôt suivie par une panoplie d’autres pérégrinations, toutes plus improbables, qui dessine peu à peu le portrait loufoque de notre époque où la folie, la psychose et la connerie n’ont jamais été aussi présentes. Du professeur néo-nazi romantique (campé brillamment par Simon Rex) aux jeunes réalisateurs bobos surexcités, en passant par un groupe d’islamistes fanatiques de musique techno, Lillian parvient toujours à se faire une place dans ces univers aussi polyvalents que radicaux pour mieux les quitter ensuite lorsqu’elle, et elle seule, le décide. Le voyage est aussi foutraque que captivant dans l’exploration piquante, mais jamais dénuée d’humour, des bas-fonds de l’Amérique post-Trump où la témérité, l’insolence et la moue boudeuse de Talia Ryder créent un contrepoint salutaire à la galerie de personnages névrosés et malsains qu’elle croise en chemin.

Appuyé par un 16 mm stylisé au grain cotonneux, The Sweet East est découpé en plans courts et la caméra a constamment la bougeotte, à l’image de son héroïne rapidement lassée par ceux qu’elle rencontre, créant une atmosphère énergique toute particulière qui rappelle l’univers des frères Safdie et d’Alex Ross Perry, réalisateurs avec lesquels Sean Price Williams a travaillé en tant que directeur de la photographie. La fièvre visuelle parcourant le film est irrésistible, quoique harassante par moment, et change constamment de direction en matière d’ambiance et d’esthétique. Insaisissable et énigmatique, The Sweet East nous balade hors des sentiers battus dans une Amérique déliquescente et malade, largement imprégnée par un passé qui lui colle aux baskets et fracturée par ses communautés esseulées. Escapade irrévérencieuse emplie de déviants, on est cueilli par ce conte de fées désenchanté à l’originalité et à la radicalité fulgurantes, magnifié par son casting de talents émergents – Talia Ryder en tête, mais également Ayo Edebiri (The Bear) ou encore Jacob Elordi (Euphoria, Priscilla). Et si The Sweet East clignote un peu « film branché », on n’en reste pas moins fasciné par ce premier essai et absolument curieux quant aux prochains projets de Sean Price Williams.

Réalisé par Sean Price Williams. Avec Talia Ryder, Simon Rex, Earl Cave… États-Unis. 01h44. Genres : Aventure, Drame, Fantastique. Distributeur : Potemkine Films. Prix du Jury et Prix de la Révélation au Festival de Deauville 2023. Sortie le 13 Mars 2024.

Crédits Photo : © Potemkine Films.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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