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WandaVision : Le manifeste communiste de Disney ?

WandaVision est une série de 9 x 32 minutes (dont 7 de générique) qui met en scène l’histoire d’amour de Wanda Maximoff (une sorte de sorcière ultra puissante) et de Vision (une intelligence supérieure à mi-chemin entre le robot et la magie). Cette poupée russe de Marvel (elle-même contenue dans le grand ensemble Disney) semble abriter une démonstration des pouvoirs de l’animation ainsi qu’une mise en garde contre cet art tout-puissant que Sergueï Eisenstein n’hésitait pas à comparer à une peau de chagrin, qui offre en même temps qu’elle détruit. Disponible sur Disney +, la série explore le thème du deuil et de nos difficultés à le traverser. Et puisque ce genre dit du « super-héros » repose en partie sur la révélation, il nous faut vous le préciser : ce texte contient d’importants spoilers.

Contre toutes attentes, et au sein d’une machine très bien huilée par des intérêts économiques gigantesques, Wanda s’est vu octroyer l’honneur d’un spin-off consacré à ses aventures. A contrario des héros comme Thor, Hulk ou Iron Man, dont l’apolitisme de surface convient parfaitement au capitalisme des studios de la petite souris, le personnage de Wanda Maximoff est impossible à séparer des racines politiques qui l’ont vu naître. D’abord utile à une propagande qui avait besoin de dépeindre l’Est sous un jour inquiétant, Maximoff est l’héritière d’une guerre froide que tout le monde veut faire semblant d’oublier. Gênés par cette couleur locale à l’accent soviétique maladroit, ses auteurs commencent par la désinvestir. Elle échappe ainsi à la machine de standardisation qu’est le Marvel Cinematic Universe. C’est certainement ce qui explique le succès populaire des tribulations de cette terroriste repentie (la translation actuelle que les scénaristes du MCU ont trouvé à son passé communiste) et a poussé Disney, dans une sorte de retour ironique, à répondre aux demandes d’un public déjà conquis. Qu’à cela ne tienne, WandaVision va vous ouvrir les portes de sa maison très américaine à travers une sitcom reprenant décennies après décennies les codes si familiers des grands succès de la télévision !

Ce que je sais de plus important à propos de Disney, je ne l’ai pas appris pendant les douze années durant lesquelles j’ai travaillé à fabriquer des dessins animés, mais en lisant l’essai Walt Disney du célèbre monteur Sergueï Eisenstein.  Il fallait au moins un des plus grands génies de l’ère communiste pour m’ouvrir les yeux sur ce que la multinationale fait à nos inconscients. « On n’a pas fini de se surprendre à pleurer devant Bambi, pourquoi ? » Eisenstein cherche à répondre à cette question en remontant jusqu’à la signification première qu’a le dessin pour l’histoire de l’humanité. De mon point de vue, ce que Kubrick disait des films en prises de vue réelles est encore plus vrai du cinéma d’animation : « Vouloir faire un film c’est comme essayer d’écrire Guerre et Paix dans l’habitacle d’une auto tamponneuse ». La somme du travail à abattre et l’ampleur des obstacles à dépasser sont telles qu’on n’a pas d’autres choix que d‘y mettre une partie de son âme pour le mener à terme.  Impossible de faire de l’animation du bout des doigts avec une attention limitée. À moins que vous ne lui donniez la totalité de vous-même, cette machine délicate et complexe vous dévorera pour vous recracher en miettes.

L’animation : Le grand mercato de l’imaginaire

Les dessins animés passent aussi bien dans les foyers heureux, pour les enfants choyés, que dans les maisons tristes, pour les enfants malheureux. Ils y distribuent la même dose de fascination et d’émerveillement. La magie de Disney (et des autres studios d’animation) est là : faire passer l’âme de ceux qui les fabriquent dans les images que vous regardez. On n’est pas très loin du concept de horcruxe et tout cela explique le succès d’une entreprise riche à milliards qui brasse chaque année plus d’argent que ne le feront jamais les industries qui vous vendent des choses plutôt que des histoires.

Ces histoires s’obtiennent par réduction. Chez Disney, on n’engage jamais des gens au talent ou à la personnalité médiocre. Non, on prend les meilleurs, les plus singuliers et on les rabote pour les faire entrer dans un moule qui n’est pas celui d’une moyenne de médiocrité mais d’une moyenne de l’acceptable, du soutenable, en d’autres termes du convenable. Il s’agit de mesurer l’excitation et de choisir le moment où la flamme brille de son éclat optimal pour en faire un état qui dure, avec des hauts sans vertiges et des bas sans chute. Il s’agit d’atteindre un palier de passion qui n’est ni celui de l’indifférence ni tout à fait celui de la satisfaction. Les gens qui construisent des feux savent de quoi je parle : trop peu et le feu s’éteint, trop fort et tout est consumé.

C’est que l’entreprise se connaît très bien. Tout doit entrer dans une jauge d’excellence qui ne vous pardonne ni de la dépasser, ni de lui être inférieur. Une fois que cette potion est prête, obtenue par la patience et un travail acharné, la magie peut commencer. L’inconscient de Disney (ce rêve dont on entend tant parler) est alors directement versé dans celui de son public. Eisenstein, qui était un communiste de la première heure, ne cessait de s’émerveiller de cette formidable capacité qu’avait Walt Disney à imposer ses rêves à des gens si différents à travers le monde. Le russe allait même jusqu’à le comparer au maître de la renaissance Fra Angelico.

En première lecture, on pourrait s’étonner de l’amour du célèbre théoricien pour Mickey, symbole ultime du capitalisme s’il en est, mais au fond, il n’y a là rien d’étonnant. Il me semble que le communisme et le capitalisme ont, contre toute attente et chacun à un bout du spectre, quelque chose en commun : la conquête de nos inconscients. Le communisme cherche la dissolution de l’instinct de possession pour vaincre l’individualisme et accéder à un avenir collectif. Le capitalisme porté par Disney tend au même but par des moyens opposés. Vaincre un inconscient de solitude pour ouvrir la voie à un avenir sans peine, où rien ne vient interrompre votre envie d’acheter.

© Disney +.

La peine est finie  : WandaVision, une terre sans souffrance et sans deuil

Mais pourquoi parler de dessin animé quand le sujet est WandaVision ? C’est-à-dire que tout est dessin animé désormais. C’est le grand hold-up cinématographique du XXIème siècle : doucement mais sûrement, le dessin animé a pris possession du cinéma en prise de vue réelle. Qu’est-ce que le cinéma ? Ceux qui nous ont précédés, André Bazin en tête, disaient que c’était l’impression d’une image sur de la pellicule. Il n’y a presque plus rien de vrai là-dedans. Désormais, le cinéma c’est de l’image animée. Presque tous les films (même ceux qui peignent les atermoiements amoureux de deux parisiens dans une cuisine) sont retouchés image par image numériquement (ne serait-ce que pour effacer un câble à l’arrière-plan ou pour remplir la découverte d’une fenêtre). Les génériques vous l’apprennent, dès lors qu’il y a plus d’une centaine de personnes employées à la fabrication du film et qu’ils sont disséminés sur 5 continents et 40 studios vous pouvez en être assuré : vous venez de regarder un film d’animation. WandaVision est l’art poétique de cette mutation, de cet envahissement de la pellicule par le dessin. C’est une œuvre somme de tout le travail accompli par Disney avec le Marvel Cinematic Universe. Au même titre que l’a été Fantasia pour le XXème siècle, c’est un joyau qui orne et dit la couronne à la fois.

Toute la vie de Walt Disney a été consacrée à nous faire accepter cette idée : « La magie existe ». Avec Fantasia, il s’agissait de prouver que de simples dessins peuvent pénétrer la réalité et prendre le dessus sur ce que l’on croit savoir du monde. Disney peut donner le pouvoir de nous émouvoir à des choses aussi triviales que des balais. Maintenant que tout cela est admis, que personne n’ose  remettre en cause le fait qu’au bout du RER A il y a un monde merveilleux où les règles du réel ne s’appliquent pas, il est temps pour Disney de réformer et d’augmenter son programme. Avec le MCU et WandaVision, on va encore plus loin. Non seulement le monde qu’on vous propose est plein de magie, mais en plus dans ce monde la réalité n’existe pas, la réalité n’a aucune prise. Il ne s’agit plus de suspendre votre crédulité en attendant de quitter la séance, mais de plonger l’intégralité de votre vie dans un monde où vous n’aurez à subir aucune peine, et si par hasard cette peine devait malgré toutes nos précautions vous être imposée, nous l’utiliserons pour vous en faire des supers pouvoirs. C’est un éternel recommencement d’anesthésie. Après la fin, il n’y a pas de fin. Quelque chose après le générique vous est promis. Vous ne serez pas confrontés à la douleur d’avoir à dire au revoir, c’est promis une suite arrive en 2026. Il y aura des prequels, des sequels, des spin-offs : on ne vous abandonnera pas !

WandaVision met en scène l’histoire d’amour de Wanda et Vision à travers un dispositif narratif complexe qui profite de l’hommage rendu à l’histoire de la télévision pour raconter un amour sans début (et donc sans fin) qui se transporte de décennies en décennies. Dans les derniers épisodes de la série, on découvre que le récit trouve sa source dans le deuil de Wanda. Comme tout un chacun, elle traverse l’épreuve de la perte de son compagnon par une première étape de déni. Les pouvoirs de la sorcière sont tels qu’elle fait advenir la télévision dans le monde réel. Dans une ville qui obéit entièrement aux règles d’un scénario qu’elle impose à tous par la force de sa magie, elle peut vivre le bonheur conjugal dont elle a été privée. On passe ensuite très vite sur la nécessité pour elle de sortir de ce fantasme : la douleur est incarnée par une sorcière maléfique qu’il faut combattre et à la fin tout est bien qui finit bien (elle semble avoir accepté sa perte). Mais après le générique final, il y a autre chose qui vous attend et vous invite à vous replonger dans ce confortable  déni. Pour nos émotions, c’est une stimulation constante et épuisante qui ne trouve de repos que dans une semi-résolution mensongère. La confusion entre le réel, la vérité et ce qui peut unir les deux, c’est-à-dire l’art de raconter une histoire, est entretenue tout au long de la série par une narration volontairement compliquée. On enchâsse les intrigues et les tiroirs temporels (les flash backs se multiplient pour révéler très progressivement l’histoire) et on lie ce qui arrive aux personnages avec votre expérience de spectateur (le capitaine Rambeau est happé par le monde de Wanda au même titre que nous le sommes par la série). Tout cela dans le but de vous troubler. Comme le dit Vision pendant un tour de magie de l’épisode 2 : « Tonight we will lie to you and you will believe our little deceptions, because human being are easily fooled”. Cette multiplication de mise en abyme dit bien son but : enterrer la réalité pour y échapper. Par un feu de joie qui ressemble fort aux flammes sans cesse attisées du fascisme, on est diverti, rendu insensible aux réalités de nos vies. Rien ne finit avec la peine, rien ne finit avec la perte. Disney nous dit : « Vos inconscients peuvent nous être livrés sans crainte, nous avons vaincu la mort ».

On pourrait penser que je n’ai pas aimé WandaVision mais bien au contraire, je crois que c’est un bijou. Il s’agit là d’un de ces chefs-d’œuvres que les industries réussissent à produire par miracle, quand ils ne sont pas incompatibles avec des intérêts économiques et que des artistes réussissent à les faire passer au nez et à la barbe de leurs patrons telle une contrebande audacieuse. Tout comme les artistes qui nous ont offert Fantasia, ils ne sont pas dupes de la machine à laquelle ils appartiennent et font une démonstration très juste de comment elle fonctionne et nous broie. Cette formidable ode à la télévision et à son immense pouvoir de consolatrice contient sans doute une dose de subversion, mais elle est à peine perceptible, déjà dissoute dans l’acide de la Major américaine qui récupère à son compte tout ce qui est art pour en faire de l’or.  J’ai profondément aimé WandaVision : comment résister au charme confortable de menteurs qui vous racontent avec talent ce que vous avez le plus besoin d’entendre ? Mais qui peut vivre dans un monde où la mort à disparu ? Qu’est-ce qu’il nous reste à surmonter, quel sens a survivre si nous ne perdons jamais rien ? Nous n’avons pas seulement besoin d’espoir, il nous faut aussi pouvoir vivre dans un monde où la vérité ne nous est pas dérobée. Renoncer à la tristesse c’est renoncer à soi-même et se livrer en marchandise à une entreprise dans le cours de l’action est actuellement à 152 dollars.

Créée par Jac Schaeffer. Avec Elizabeth Olsen, Paul Bettany, Kathryn Hahn… États-Unis. 9 Épisodes x 35 Minutes. Genres : Comédie, Fantastique, Action. Sur Disney + depuis le 15 Janvier 2021.

Crédits Photo : WandaVision © FR_tmdb. 

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