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Notre année 2020

Florian Etcheverry : « Mon année de cinésériephile confiné »

En tant que nerd autoproclamé et assumé, les deux confinements de cette année auraient dû être l’occasion pour moi de m’adonner à des marathons de saisons sans lendemain. Me remettre à des séries annulées et/ou oubliées – ou plus simplement les terminer, combler les trous de ma connaissance sériephile et/ou cinéphile. Enfin pouvoir voir les saisons du Bureau des Légendes (entre mille séries) dont on m’a tant loué les mérites. Or, si l’on excepte les saisons 6 et 7 de Buffy (vraiment top), je n’ai tenu aucune de ces résolutions. En tout cas, pour des séries dramatiques.

En réalité, le confinement m’a coupé l’envie de me mettre à la page de séries dramatiques aux thèmes ou à l’aspect lourd, et sérieux. Ou encore des dédales high-tech comme la série d’Alex Garland, Devs, que j’attendais comme le Messie, mais que je n’ai pas eu le cœur de voir ou rattraper. Perry Mason (HBO/OCS), et son aspect de vraie histoire de détective sordide, aidée par la maestria de l’habitué de la chaîne Tim Van Patten, semblait être conçue sur mesure pour une dégustation aussi corpulente et satisfaisante qu’un verre de bourbon. Pourtant, je n’ai pas avalé cette série cul-sec. Quelque chose dans ma psyché m’a empêché de finir la saison 1. Idem avec I May Destroy You, série certes assez impressionnante dès le début, mais où je n’ai pu me résoudre à continuer l’arc d’Arabella (Michaela Coel). 


2020 a été une année à part, où mon côté omnivore a été remplacé par un entêtement à voir des séries au gré de mes humeurs. Ma curiosité naturelle a été impactée, à regret, par le besoin  d’une connexion superficielle :  la gratification instantanée, ce qu’une série peut offrir de mieux. Et rien de mieux pour cela que les comédies et séries d’animation en 20 minutes. Il eût été erroné de dire que, contrairement à beaucoup d’autres citoyens, j’ai eu besoin de me réfugier dans ce format, sinon pour passer le temps, au moins pour éviter d’être assailli par le marasme ambiant. Mais il subsiste quand même une envie de retrouver une certaine forme de fantaisie et d’insouciance lâchée par un monde affrontant la dévastation sociale et économique d’une pandémie en temps réel.

Aussi, l’événement qui m’a le plus ragaillardi en 2020 fut l’arrivée des nouveaux court-métrages Looney Tunes pour HBO Max. Après des années de disette et des années 1990 honteuses pour les personnages (de Space Jam au sympathique mais anecdotique Titi et Grosminet Mènent l’Enquête), ces court-métrages, curieusement répartis en épisodes de 10 minutes composés de deux à trois segments, capturent tout le mauvais esprit et les dynamiques entre Elmer et Bugs, ou entre Daffy et Porky, qui n’avaient quasiment pas été réunis à l’écran depuis les années 1950. Voir tant de soin apporté pour recréer les explosions et autres tortures physiques des Robert Clampett, Chuck Jones et autres Robert McKimson (réalisateurs émérites de la grande époque) sans pour autant les singer ou les photocopier a réchauffé mon cœur. Pas question de succomber à la 3D, écueil clinquant de quelques-uns des court-métrages sortis au gré des humeurs de Warner Bros. en salles, parmi lesquels des Titi et Grosminet lourdingues en 3D. Une découverte complétée par les courts-métrages Mickey Mouse de Disney+ (Le Monde Merveilleux de Mickey), au rythme effréné et qui fait des clins d’œil bienvenus à Tex Avery dans plusieurs des épisodes. Un concentré d’anarchie créative conçu par des inconnus au service de leurs modèles plus que des desideratas d’un cahier des charges familial : voici une des véritables réjouissances de 2020.


L’autre sauveur de 2020 chez moi, c’est Paul Simms. La saison 2 de What We Do In The Shadows, finie en plein premier confinement, était une merveille de burlesque, tirant le meilleur parti de sa distribution et de ses concepts encore plus que pour sa saison 1. Aux côtés de Stefani Robinson, prenant les rênes de la série marquée par deux co-créateurs trop occupés (Jemaine Clement et Taika Waititi), Simms a livré un condensé de comédie fantastique réussie. A tel point que je me suis replongé dans les trois premières saisons de sa comédie Newsradio, diffusée sur NBC à la fin des années 1990, et en France sous le titre Infos FM. Une sitcom autour d’une équipe de radio d’informations en continu, mais qui exploite relativement peu les affres de son milieu – moins d’un tiers des épisodes tournent autour des émissions de la radio, ou des prix reçus par ses animateurs. Une série au ton unique, qui partage avec What We Do In The Shadows son envie d’écrire pour les comédiens et leurs dynamiques. Ce fut un des seuls rôles en comédie pour Maura Tierney comme pour Khandi Alexander, qui connaîtraient le succès toutes deux grâce à leurs rôles dans Urgences. Pour autant, elles ne sont jamais mises à l’écart, toujours portées vers le haut grâce à l’écriture et intégrées à la dynamique comique par leurs partenaires de jeu. Newsradio c’est surtout une bande de collègues qui laisse libre cours à leurs fantaisies ou leur lubie : un journaliste qui lance des défis à l’électricien homme-à-tout-faire, un jeune directeur des programmes dépassé par les événements…. Constamment malmenés par NBC, les scénaristes et acteurs de Newsradio sont sur la sellette chaque saison, ce qui leur donne l’occasion de tenter tout et n’importe quoi. Le dernier épisode de la saison 3, écrit comme un series finale, se déroule carrément dans l’espace. Regarder ce vilain petit canard de l’âge d’or des sitcoms, englouti par les autres séries de NBC, de Friends à Dingue de Toi en passant par Will & Grace, c’est découvrir l’ADN de Scrubs et Community en temps réel. Un dynamitage de conventions beaucoup trop futé pour durer.


Plus d’anarchie visuelle, plus de couleurs bariolées, plus d’absurdité : c’est ce que je demandais de mes rendez-vous télévisuels en 2020. Reprendre Robot Chicken, avancer dans les intrigues de plus en plus particulières de Adventure Time, regarder une des saisons classiques des Simpson, rattraper La Bande à Picsou, Bob’s Burgers ou encore Big Mouth : l’animation m’a fourni un havre de paix à travers des aventures à plusieurs couches ou encore des chansons inattendues sur les différentes corpulences féminines (c’est pour Big Mouth, pas La Bande à Picsou). Alors que les ignominies politiques s’accumulaient au quotidien, j’ai même profité du second confinement pour me mettre à jour sur It’s Always Sunny In Philadelphia, comédie trash toujours invisible en France après une vaine diffusion il y a plus d’une décennie. Les manipulations et plans foireux du Gang et du père de deux d’entre eux, Frank (Danny DeVito) fournissaient leur propre porte de sortie à la déliquescence ambiante. 


2020 : une année en suspension où je n’arrivais pas à maintenir mon intérêt à moins d’une garantie de fantaisie (ou de débauche). Une année où j’ai presque perdu le goût de la salle par la force des choses et au vu des trois mois de fermeture. Même en ayant timidement repris mes habitudes en salle pendant l’été, et avec de belles découvertes (dont la reprise de Elephant Man et The King of Staten Island), le sentiment n’y était plus face à des salles désertiques. Une sensation étrange d’avoir basculé dans une dimension où la salle en tant que phare culturel français aurait été émasculée. Et de conclure sur une hypothèse amère, surtout en fin d’un paragraphe relatant mon absence en tant que spectateur : même en n’étant pas positif au COVID, j’ai fait l’expérience de la perte de goût. Une déconnexion qui commencera à s’estomper dès 2021. Je l’espère.

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