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Alberto Vázquez : Illusions Perdues au Royaume des Oursons

Audacieux et sans compromis, l’univers d’Alberto Vázquez se joue de nos représentations et prend le parti de rapprocher ce qui est réputé inconciliable. Avec lui, le train pour la forêt enchantée se retrouve détourné vers la maison des horreurs… À l’occasion de la première parisienne de son nouveau film d’animation Unicorn Wars à l’Étrange Festival, nous lui avions posé quelques questions. Le film sort en salles pour les fêtes dès ce mercredi (28 décembre). 

Propos recueillis par Julien Beaunay et Julien Savès

« J’aime jouer avec les archétypes afin de mieux les détourner et de provoquer une vive réaction chez le spectateur. »

Les Julien(s) : Vous commencez votre carrière en tant qu’artiste et illustrateur de bandes dessinées. Comment en êtes-vous venu à l’animation ? Est-ce quelque chose que vous avez toujours voulu faire ?

Alberto Vázquez : J’ai fait des études d’arts appliqués à l’Académie des Beaux-Arts de Pontevedra et de Valencia, puis j’ai suivi des cours dans la prestigieuse école de La Massana à Barcelone. Je suis ensuite devenu dessinateur et illustrateur, puis une de mes bandes dessinées, Psiconautas (2007), est devenue un court métrage (Birdboy, 2011, co-réalisé avec Pedro Rivero) et la machine s’est mise en marche. Le passage à l’animation a été plutôt naturel car j’y ai trouvé un élément en plus sur lequel je ne pouvais pas compter en bande dessinée : le rapport au son. En animation, je peux travailler tout l’environnement sonore d’une histoire, y ajouter tout un panel d’ambiances sombres accompagnées de musique bruyante ou expérimentale et me servir de voix très marquées pour caractériser chaque personnage, voix qui sont la plupart du temps les miennes.

Lorsque vous cherchez des idées pour un nouveau projet, où trouvez-vous l’inspiration ?

En termes de dessin ou de design des personnages, cela vient essentiellement des dessins animés classiques comme ceux de Walt Disney, ainsi que de l’imagerie véhiculée par les contes et les fables. Au niveau des sujets, je cherche avant tout mes idées dans la vie de tous les jours. Je m’intéresse à des sujets aussi vastes que l’écologie, les drogues et la guerre. Par exemple, le fait que la Galicie ait été la plaque tournante de la drogue en Europe m’a beaucoup inspiré. L’ensemble des thèmes est également passé au crible de mon point de vue politique sur le monde. Comme vous avez pu le remarquer dans mes films, j’ai une vision d’ensemble assez pessimiste, mais c’est mon opinion personnelle.

Vos films perpétuent une tradition du dessin animé à l’ancienne avec un style « rond », hérité des classiques, qui évoque une forme d’artisanat. Pensez-vous entretenir un certain idéal d’animation ?

J’aime le classicisme car il se révèle parfois plus moderne que les tendances éphémères du moment. Il véhicule une dimension intemporelle, universelle, partagée par toutes les cultures. De plus, jouer avec les classiques en animation permet de nous ramener à l’enfance, aux origines de notre existence, à ces créatures anthropomorphes qui peuplaient les contes de fées et qui, à leur seule évocation, nous replongent plusieurs années en arrière. J’utilise le classicisme, ses caractéristiques et valeurs induites pour affronter des thèmes contemporains.

Quels sont les artistes qui vous remuent et vous inspirent ?

Je suis inspiré par des artistes de disciplines différentes, de la bande dessinée au cinéma d’animation et en prise de vues réelles, en passant par l’illustration et la littérature. Je trouve matière à réflexion chez des icônes comme Edward Gorey, Charles Addams, Roland Topor, Gustave Doré, Luis Buñuel, Ingmar Bergman, Juan Rulfo ou des artistes populaires tels Hayao Miyazaki, Isao Takahata, Stephen King, Sempé. J’aime particulièrement ceux qui ont un style très marqué, différent, tout de suite reconnaissable, comme Stéphane Blanquet, Jim Woodring, Alberto Breccia, Michael Haneke. Enfin, l’ambiance, les thèmes, les obsessions et le ton de pas mal de séries d’animation m’inspirent tout autant : Les Simpsons, Primal, The Shivering Truth.

© Zircozine / Basque Films / Autour de Minuit / Eurozoom.

Quelles sont vos habitudes en termes de processus créatif, comment débutez-vous ? Par le dessin, le design des personnages ou l’écriture ?

Auparavant j’avais l’habitude de faire des croquis ou des dessins préparatoires, d’écrire ici et là des phrases, des notes éparses. Depuis quelques années et notamment depuis mon premier long métrage (Psiconautas, 2015), j’ai été contraint de professionnaliser mon approche créative et de m’adapter au processus habituel de production, surtout par rapport aux demandes d’aides. Je respecte maintenant une procédure bien déterminée à l’avance, qui commence par un dossier établi en amont, afin de travailler sereinement avec tous les autres membres de l’équipe. Pour mon nouveau film Unicorn Wars, je savais que j’allais travailler avec plusieurs studios en Europe (Abano Producciones et UniKo en Espagne, Autour de Minuit Productions et Schmuby Productions en France), donc il fallait être très rigoureux. Il est très difficile de produire un film d’animation comme celui-ci. Les studios américains ont un budget plus confortable pour une même durée. Cela a d’ailleurs conditionné plusieurs choix artistiques du film. Certaines parties de l’animation sont en 2D, d’autres en 3D, afin de pouvoir réutiliser des animations, notamment les licornes. Un cheval étant par nature difficile à animer, traiter les licornes comme des silhouettes noires animées en 3D rendait la tâche moins dure, surtout quand il y en a beaucoup à l’écran. De plus, cela me convenait car le rendu s’inscrivait dans la continuité même de mon approche thématique du personnage.

Parlons plus en détail de ce nouveau film, Unicorn Wars. Quelle est la connexion entre ce film et votre court métrage Sangre de Unicornio (Unicorn Blood – 2013) ?

Je souhaitais étendre l’univers de Sangre de Unicornio. Je me suis penché de nouveau sur les personnages du court-métrage, le monde dans lequel ils évoluent et je me suis dit que ce serait intéressant d’approfondir l’histoire, d’en créer de nouvelles avec d’autres personnages du même univers. J’ai proposé l’idée à mes producteurs qui ont sauté sur l’occasion, tout en me laissant une entière liberté de création.

Dans ce film comme dans vos précédents, vous mêlez humour noir et drame dans un univers faussement enfantin et finalement très sombre, un mélange détonnant et unique. Quel genre d’émotions souhaitez-vous transmettre à votre public ?

J’aime mixer cet ensemble de choses qui ne vont pas naturellement ensemble d’elles-mêmes. Le but est de pousser le public dans l’inconfort pour le faire réagir. J’aime jouer avec les archétypes afin de mieux les détourner et provoquer une vive réaction chez le spectateur. 

Cela peut se traduire par le contraste évident entre vos personnages « mignons » (licorne, ours en peluche) et leurs actions violentes ou leurs comportements vulgaires. 

Je cherche depuis longtemps à travailler le contraste entre la naïveté apparente du design général, les lignes rondes et douces de prime abord et la profondeur thématique de l’ensemble, la vision pessimiste affleurante. Les références communes comme les gentils petits oursons ou les licornes arc-en-ciel se trouvent détournées de leur emploi habituel. Il s’agit bien de mignons petits animaux anthropomorphes qui viennent de notre imaginaire collectif, mais ils n’agissent pas comme ils le font habituellement. Par exemple, les licornes ne sont pas dessinées dans leur forme iconique, mais plutôt dans une version sombre, d’apparence inquiétante. Mes histoires, et par extension mes personnages construisent une œuvre au noir très nihiliste. 

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce combat fratricide qui anime les deux oursons dans le film ? Vous êtes-vous basé sur un texte religieux ? Un parfum d’Abel et Caïn ?

J’ai eu une formation religieuse, j’ai lu La Bible, surtout l’Ancien Testament, qui est d’ailleurs traversé à de nombreux moments par la guerre et l’Apocalypse. Contrairement au Nouveau Testament, Dieu y est souvent implacable avec les humains. Je souhaitais créer une religion spécifique aux oursons dans le film. Je voulais aussi évoquer la possibilité pour les détenteurs de l’autorité d’utiliser un livre religieux pour servir leurs propres intérêts. Je me suis beaucoup amusé à imaginer le livre avec des enluminures comme dans les temps anciens, avec des illustrations couplées aux textes. Ce type d’animation très inspiré de l’art sacré se retrouve d’ailleurs à plusieurs reprises dans des séquences révélatrices où les représentants religieux assènent leur doctrine avec emphase.

Dans nombre de vos histoires, on retrouve l’idée d’un monde en ruines, d’une apocalypse en cours. C’est particulièrement le cas dans Unicorn Wars où cela se double d’une guerre dévastatrice.

Unicorn Wars est à la fois une parodie et un hommage à de nombreux films de guerre qui m’ont marqué dans mon enfance. Je mélange tout cela à mon univers d’illustrateur, de dessinateur mais aussi à des éléments bibliques et mythologiques. Avec ce film, j’aimerais parler de l’origine commune de toutes les guerres, les sentiments pernicieux et les émotions troubles qui les animent.

Remerciements à L’Etrange Festival, Ciné Press Contact, Jean-Bernard Emery et Juliette Pannequin.

Crédits Photo : © Julien Beaunay.

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