Jim Carrey l'Amérique démasquée
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Derrière le(s) masque(s) de Jim Carrey

Clown grimaçant pour les uns, génie incompris pour les autres, Jim Carrey a – sûrement plus que tout autre comédien – divisé les foules depuis les années 1990. Un ouvrage passionnant revient ce mois-ci sur la carrière électrisante de l’acteur survolté. 

À la mention du nom de Jim Carrey, beaucoup repenseront, avec nostalgie ou irritation, aux gesticulations incessantes d’Ace Ventura. D’autres se rappelleront de Stanley Ipkiss et de son double au visage vert. D’autres encore se remémoreront sa réinvention devant la caméra magique de Michel Gondry dans Eternal Sunshine of the spotless mind. Ce qui est sûr, c’est que chacun aura un souvenir, précis ou lointain, ému ou agacé, du comédien désarticulé. Parce que pendant une dizaine d’années, Jim Carrey a été la plus grosse star de la comédie américaine. Le king of the hill d’Hollywood, la colline où les rêves s’en vont pour contaminer la planète entière. 

La grande force de Jim Carrey, L’Amérique démasquée, paru ce mois-ci aux éditions Façonnage, est de parvenir à montrer l’ascension éclatante du Canadien (et sa lente disparition) sous un nouveau jour. De rappeler qu’à Hollywood comme ailleurs, et peut-être même moins qu’ailleurs, rien n’arrive par hasard. Pour nous, spectateurs français, Jim Carrey a débarqué du jour au lendemain avec une coiffure bien trop haute et un cul qui parle dans Ace Ventura, détective chiens et chats. Mais outre-Atlantique, son explosion cinématographique était amorcée par ses interventions survoltées dans l’émission satirique In Living Color (la cousine impertinente du Saturday Night Live, où il n’était pas convié), par son incarnation d’une masculinité aux antipodes des canons de l’époque (Stallone, Schwartzy et consorts) et surtout par le retour en force des Looney Toons, touchés par la grâce depuis le succès pétaradant de Qui veut la peau de Roger Rabitt ? 


10min du Background Guy d’ In Living Color (you’re welcome)

Adrien Denouette, critique chez Trois Couleurs et Critikat, offre un bel écrin au talent du comique canadien, tout en évitant de tomber dans les travers d’une biographie sans point de vue ou d’une hagiographie sans contraste. Tout l’intérêt de son ouvrage est de décrypter, avec les bénéfices du recul, la carrière surprenante de Jim Carrey, en traitant avec autant de sérieux, de curiosité et de mordant Dumb & Dumber et Man on the Moon ; Ace Ventura et The Truman Show. Il nous permet ainsi d’explorer des rivalités plus profondes qu’on aurait soupçonné entre Jim Carrey, Keanu Reeves et Robin Williams, ou de réaliser que le comédien canadien a incarné l’étonnant chaînon manquant entre Charlie Chaplin et Avatar

Quand politique et pitreries ne font plus bon ménage

Jim Carrey a été un trublion du petit et du grand écran. Ses personnages d’In Living Color (le pompier Fire Marshall Bill qui se blesse à chaque apparition, le Background Guy qui s’éclate au fond de l’image derrière ses camarades de l’émission), puis Ace Ventura, le Mask, même le Grinch faisaient exploser les cadres des productions a priori formatées au sein desquels ils apparaissaient. Comédies inoffensives, aventures exotiques, films de Noël pour enfant : tout était perverti par l’impertinence sans limite du comédien. Plusieurs décennies plus tard, celui-ci se fait très rare et ne déclenche plus ni hilarité, ni agacement. Après avoir essayé de se racheter une conduite dans plusieurs films oubliables (Braqueurs amateurs, Le Nombre 23, Monsieur Popper et ses pingouins…), Jim Carrey a vu la porte d’Hollywood se refermer d’elle-même. Adrien Dénouette le démontre par A+B dans son ouvrage. A – dans l’usine à rêves californienne, les effets spéciaux ont pris le dessus sur le fait-maison et ont progressivement aseptisé les productions américaines, toujours plus belles, toujours plus fascinantes, mais certainement moins propices aux excès (de quelle nature que ce soit). B – à force d’insuffler de la comédie inoffensive dans chaque blockbuster pour le rendre plus attractif et familial (à la manière de Marvel), le rire venu du cartoon et du burlesque, plus gras, plus primal, s’est vu progressivement mis au rebut. On vous met au défi de citer cinq comédies populaires US récentes aussi intenables et indomptables que l’était Ace Ventura en son temps. Si vous n’y parvenez pas, ayez une pensée solidaire pour l’homme qui a incarné le poil à gratter (et la poule aux œufs d’or) du cinéma américain pendant près de dix ans.  

Kidding – quand Jim Carrey, en présentateur has been, peine à trouver un sens à sa vie…

Finalement, que reste-t-il à pervertir en 2020, en Amérique ? A priori pas grand chose. Durant les années 1990, heures de gloires du trublion, Bill Clinton incarnait une présidence à la cool, tandis qu’Hollywood affichait une approche décomplexée de la comédie et du rire sous toutes ses formes (blagues grasses et régressives comprises). Le Démocrate, à l’image de Carrey, s’est d’ailleurs révélé particulièrement doué pour faire exploser (à son plus grand désarroi…) un nouveau cadre, celui de son propre statut, lors du plus gros scandale sexuel de la fin du XXe siècle. Depuis, la débandade n’a fait qu’accroître, d’une ère post-11 Septembre peu propices aux idioties à l’arrivée d’un nouveau style de looney toon au pouvoir. Face à la caricature gargantuesque du narcissisme poussé à l’extrême incarnée par Trump, quelle place reste-t-il pour la subversion au cinéma ? C’est bien dans sa dernière partie que Jim Carrey, L’Amérique démasquée dévoile toute sa richesse en explorant les conséquences de l’aseptisation hollywoodienne et ouvre des pistes intéressantes sur les alternatives possibles. En 2020, puisqu’il est persona non grata sur la colline californienne, le rire s’est barré ailleurs : à la télévision et sur les scènes de stand-up. Après quelques participations ponctuelles, le Saturday Night Live a d’ailleurs officiellement adoubé Jim Carrey cette année, en lui offrant le costume récurrent de Joe Biden, trente ans après les sketchs impertinents d’In Living Color. À ceux qui prétendraient que la carrière du Canadien n’avait aucun sens, Adrien Dénouette leur répondrait (et on serait bien d’accord avec lui) que finalement, en 2020, la boucle est bouclée.

Jim Carrey, L’Amérique démasquée, d’Adrien Denouette.
Disponible aux éditions Façonnage.
Sorti le 2 décembre 2020.


Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

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