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Cannes 2019

Journal de prod #2 – Souvenirs, souvenirs…

Je me souviens de mon premier festival il y a dix ans, le train de nuit, sous ma couchette les 6 bobines du film de la copie 1 sous-titrée anglais, fraîchement sorties des bains du labo. J’avais pour mission de les rapporter au vendeur international pour une projection marché avec de potentiels acheteurs étrangers… J’avais tellement peur de me faire voler une bobine de film que je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit, l’angoisse de la novice dans l’industrie du cinéma. Seule image pour me réconforter, le lever du soleil surplombant la mer, les quelques minutes avant l’arrivée en gare de Cannes…

Entre-temps, le numérique a bouleversé l’industrie, plus de photochimie, des chaînes de fabrication bouleversées, l’arrivée des plateformes, etc.
Point positif : plus d’angoisse pour les stagiaires qui doivent transporter les copies films.
Point négatif : un changement trop rapide de l’industrie et une légère cacophonie entre les différents acteurs… Mais on croit fermement à l’arrivée d’un nouvel équilibre.

Pour preuve, Pedro Almodovar fait partie de ces cinéastes qui ont traversé la mutation du secteur sans problème en restant fidèle à son imaginaire. Son cinéma me touche profondément par sa manière de mettre en scène les souvenirs. Le passé et le présent se répondent dans l’intrigue pour ne faire qu’une temporalité, celle de son film. Je fais partie des spectatrices plus ou moins acquises au cinéma d’Almodóvar mais j’ai littéralement été cueillie par Douleur et gloire. L’étonnante simplicité du récit, la sincérité et la pudeur du metteur en scène est perceptible tant dans le jeu de Banderas (parfait) que dans la direction artistique du film.
Si certains pouvaient parfois avoir le sentiment dans Julieta ou La piel que habito de ressentir une forme de démonstration de mise en scène, il y a ici au contraire une retenue et une délicatesse qui nous prennent à contre-pied et qui confirment le talent.
Le personnage principal, un réalisateur à succès vieillissant, semble être dans un lâcher-prise forcé : son corps ne répond plus, son esprit non plus, alors il s’échappe dans les vapeurs de la drogue… jusqu’à retrouver le désir.

J’aime les détours d’un récit d’une grande précision pour nous livrer un film personnel, qui nous touche en plein cœur… Bah, oui, j’ai versé ma larme, je suis une chochotte de toutes les façons, je pleure toujours au cinéma. Si les relations passées du réalisateur aux hommes sont finement traitées, elles trouvent une résolution classique de retrouvailles et de pardon. Pour autant les relations du réalisateur aux personnages féminins sont celles qui, à mon sens, font réellement la sève du film. Mercedes et la bonne sont des figures protectrices et maternelles. Mais le film s’ouvre et se ferme sur la mère (tout sur ma mère, mais il y a encore et encore à dire pour Pedro). C’est cette paix avec la mère, celle qu’il ne peut faire en chair et en os, celle qui ne peut se résoudre par une étreinte puisqu’elle est morte, que le réalisateur doit opérer pour avancer.
Les dialogues sont en apparence naïfs quand le fils dit à sa mère mourante, sur la terrasse de son appartement madrilène, être désolé de l’avoir déçue pour ce qu’il était. Mais c’est bien le dernier plan du film qui donne lieu à cette réconciliation.

Douleur et gloire se range donc dans le tiroir de mes souvenirs à côté d’Aquarius, Un prophète, Burning et tous les films de Kore-Eda sans exception aucune…

Si chaque année, je râle avant de venir au festival de Cannes, chaque année j’ai la surprise d’une émotion de cinéma et ça me suffit pour repartir pour l’année, retrouver l’énergie et la force d’accompagner des auteurs, des talents et des projets qui vont m’émouvoir, et ce malgré l’attente, les obstacles et le manque de financement.

Photo en Une : Penélope Cruz dans Douleur et gloire de Pedro Almodóvar. Copyright Studiocanal/El Deseo/Manolo Pavón

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