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Ray and Liz : chronique mélancolique d’une enfance sous Thatcher

Avec Ray and Liz, le photographe Richard Billingham dresse un portrait mélancolique de sa famille et se remémore son enfance passée dans la banlieue de Birmingham au milieu des années 80. Un premier long métrage d’une profonde humanité, sans voyeurisme ni pathos, qui s’affranchit de la simple reconstitution autobiographique.

Richard Billingham fut révélé à la fin des années 90 grâce aux clichés naturalistes de sa famille. Liz, sa mère obèse et souriante, les dents jaunies par le tabac, caressant un chaton. Son père Ray, capturé alors qu’il chute au milieu du salon comme un absurde pantin. Ray, encore, endormi dans les toilettes, le bras posé sur la cuvette sale et déglinguée. Une trentaine d’années plus tard, après plusieurs courts métrages et une importante collection d’images, le photographe, tout comme sa mère qui assemble méthodiquement les pièces d’un puzzle sur la table du salon, continue de juxtaposer les fragments de sa vie. Et réalise un film poignant sur la solitude et l’impossible communication entre les êtres.

© Potemkine Films

Des vies gâchées

Le film est morcelé en trois moments différents de la vie du réalisateur. Des scènes où se croisent l’oncle Lawrence (sweet Lawrence, comme l’appelle Richard avec affection), le grand frère Will, jeune homme  cruel, Jason, le plus jeune des trois, qui s’ennuie beaucoup, parle peu et s’occupe des escargots. Des moments indépendants les uns des autres, séparés par plusieurs années. Fil conducteur de cette remémoration, le personnage du père devenu âgé, seul dans une chambre où il boit, jour après jour, les bouteilles de bière que lui procure un ami. Dans cette pièce étouffante où le temps semble s’être arrêté, Ray ressasse ses souvenirs. L’immobilité de son quotidien exhume de manière obsédante une époque désormais révolue – son épouse est partie, les enfants ont quitté le foyer – marquée par la fatalité et la culpabilité.

On aurait pu croire que réaliser et monter un film sur sa famille, un peu cassée, socialement inadaptée, aurait pu donner donner lieu à un certain voyeurisme, ou même une complaisance. Pourtant il n’en est rien. Pas d’accusations, pas de colère ni de jugement, mais le constat de vies gâchées. Le fatalisme du tableau n’est cependant pas exempt d’une réelle tendresse, d’une compréhension qui déborde du cadre strictement remémoratif. Le regard porté sur l’oncle du réalisateur en est le parfait exemple. Billingham fait de cet homme maladroit et un peu simple l’anti-héros d’une séquence tragique, lorsque le plus grand des fils le manipule, le fait boire et met en scène son ivresse. Anti-héros car l’oncle, gentil et candide, subit la violence de Liz, qui le roue de coups. Le réalisateur se garde pourtant de condamner sa mère, ou aucun protagoniste de l’histoire. Il dévoile plutôt la complexité des personnages, leur désarroi, leurs faiblesses.

Les années Thatcher

Billingham se fait le témoin d’une histoire, la sienne, et par là-même d’une génération. Car cette peinture familiale est aussi celle d’une époque. Quand les parents au chômage quittent leur petite maison pour s’installer dans un HLM sordide rongé par l’ennui et le désoeuvrement, il n’y a plus d’échappatoire. Derrière les fenêtres, des blocs d’immeubles identiques les uns aux autres, tandis qu’à l’intérieur sont inlassablement répétés les mêmes gestes. Liz qui fume cigarette sur cigarette, Ray qui boit. Les enfants livrés à eux-mêmes. Le monde que dépeint Billingham est celui d’un naufrage, de l’abandon et de la cruauté, mais aussi de l’amour, dans toutes ses contradictions.

© Potemkine Films

Aidé de son chef opérateur Daniel Landin, le réalisateur a brillamment reconstitué l’Angleterre prolétarienne des années Thatcher. Une mise en scène dépouillée, des décors soignés, un vrai sens du cadre. La photographie saisit les visages des personnages dans leur plus profonde solitude. Lorsque Jason observe les hyènes au zoo, on se demande qui de l’homme ou de l’animal est le plus malheureux. Qu’on ne s’y trompe pas : dans Ray and Liz, la cage est avant tout mentale. Cette cage, c’est celle de la dépression : l’alcoolisme, la violence ou le désintérêt en sont les conséquences. Le grand drame du film est celui du silence.

Réalisé par Richard Billingham, avec Ella Smith, Patrick Romer, Justin Salinger. Angleterre. Drame. Distributeur : Potemkine Films. Sortie le 10 avril.

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