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Swallow : Elle est pas bonne mon oppression ?

Pour son premier long-métrage, le jeune réalisateur Carlo Mirabella-Davis compose un film retors, esthétique et éprouvant sur l’émancipation et son prix. J’ai eu la chance de discuter avec ce cinéphage qui m’a parlé tout à tour de sa grand-mère, de Jordan Peele et de son animal spirituel, l’oiseau.

Deux assiettes garnies de manière parfaitement symétriques. Dans une grande maison ultra-moderne surplombant l’Hudson River, une femme apprêtée s’applique à préparer le dîner qu’elle va partager avec son mari. Ainsi arrive-t-on dans la vie d’Hunter, qui a manifestement une vie comblée avec Richie, promis à un bel avenir en succédant à son père à la tête de la florissante entreprise familiale. Hunter étant largement à l’abri du besoin, elle occupe ses journées à décorer la maison en s’entourant de beaux objets. Dans ce décor terriblement cinégénique, le bonheur donne tellement envie qu’on aimerait y goûter, littéralement.

You can sit with us

Pour quelqu’un qui considère l’écriture comme une entreprise douloureuse, nécessitant d’aller puiser dans les profondeurs de l’âme pour aller chercher des éléments qu’on ne voudrait pas écrire, auxquels on ne voudrait même pas penser, Carlo Mirabella-Davis passerait presque pour un adepte du masochisme, tant son scénario est fin et dérangeant. Si ce premier long a des faux airs de film de festivals, ce qui est pratiquement un genre en soi et dont les œuvres sont limitées à ces projections ponctuelles, l’auteur livre ici un produit maîtrisé et incarné. On l’imagine d’ailleurs facilement rejoindre le club le plus cool du cinéma américain actuel, ayant comme chefs de file Jordan Peele, Ari Aster ou encore Robert Eggers. Ces jeunes auteurs inventent des histoires qui puisent leur source dans l’horreur pour se mêler ensuite à d’autres genres, si bien que l’on ne sait plus si l’on regarde un film d’horreur, un thriller psychologique, un drame ou une comédie noire. Et qu’est-ce que c’est bon de ne pas savoir ! Parce qu’après tout, face à une relative uniformisation du cinéma populaire, on ne peut que se réjouir du retour en grâce du cinéma de genre à une plus large échelle. L’immense succès de Get Out est la preuve qu’un auteur peut avoir les mains libres dans un film de studio, et attirer les foules. Si mon interlocuteur me parle de Jordan Peele, c’est aussi parce que le réalisateur de Us l’a pris sous son aile quand ils étaient camarades de lycée, et a largement contribué à sa formation de cinéphile en lui montrant Shining ou Akira. Peele lui a montré l’importance de créer des films authentiques qui traitent de sujets délicats ou peu exploités, avec une touche personnelle. Dans Swallow, le réalisateur évoque l’histoire de sa grand-mère, malheureuse en mariage et dans son rôle de femme au foyer dans les années 50, dont les troubles obsessionnels compulsifs étaient traités à coups d’électrochocs et de séjours en hôpital psychiatrique. On la punissait plus qu’on ne la guérissait, selon lui, et c’est de ce sentiment qu’est né l’envie de raconter l’histoire de ceux (et soyons honnêtes, surtout de celles) qui ne se conformaient pas au schéma auquel elles étaient destinées. 

Haley Bennett © UFO Distribution

Hitchcock à tous les étages

Consciemment ou non, il existe dans ce film plusieurs degrés de proximité avec l’auteur des Oiseaux. Il y a tout d’abord la double traduction du titre, Swallow, qui si elle s’entend littéralement lorsque Hunter se met à avaler différents objets, évoque aussi l’hirondelle, avec lequel d’autres parallèles troublants seront involontairement glissés par l’auteur, et que la brigade du spoil m’oblige à garder pour moi. Si le New Yorkais partage avec Hitchcock sa fascination pour l’oiseau, il dit ne pas avoir réalisé à quel point sa symbolique est présente dans Swallow. Il affirme cependant que l’inconscient intervient forcément dans le procédé d’écriture et qu’il ne s’agit pas d’un hasard. Quant aux références à ce cher Alfred, qu’il admire, elles ne sont sûrement pas fortuites au vu des citations contenues dans les couleurs, les compositions et jusqu’à l’apparence de l’héroïne.

Oui, héroïne. Le mot n’est pas trop fort pour celle qui se retrouve dans un monde où il serait malvenu de se plaindre, où la place à laquelle sa belle-famille l’assigne ne nécessite aucune réflexion et où l’on fait peu cas de ses émotions. Ces sentiments réprimés trouveront le moyen de réapparaître sous la forme du syndrome de Pica. On décrit les symptômes de cette affection rare par l’ingestion d’éléments impropres à la consommation. L’idée de s’approprier des objets pour qu’ils vous appartiennent plaît beaucoup à notre réalisateur qui collectionne lui-même les talismans et espère créer une empathie de la part des spectateurs pour cette habitude obscure mais fascinante.

Haley Bennett © UFO Distribution

Hunter mind

Comme on commence à saisir la sensibilité de l’auteur et son goût pour l’équivoque, on réalise que le prénom Hunter n’est évidemment pas là par hasard. Car Hunter est une chasseuse, elle est à la recherche de quelque chose d’enfoui, d’un secret dont elle suit la trace et qui l’aidera à se retrouver. Mais si elle est une chasseuse, elle est aussi une proie, une bête que l’on croit domptée, comme intégrée dans une belle cage de verre en pleine nature mais qui n’en est que plus vulnérable. C’est une vie à l’état sauvage, il y est question d’appropriation et de réappropriation, de prendre son envol (tiens tiens !) et de faire des choix pour assurer sa survie. C’est d’ailleurs un sujet qui passionne notre cinéaste, qui n’aime rien tant que de voir des personnages faire des choix inattendus, pour réaliser plus tard qu’ils étaient, en fait, inévitables. La fin de son film suit d’ailleurs ce principe.

L’ensemble repose entièrement sur l’excellente Haley Bennett (meilleure actrice pour ce film au dernier festival de Tribeca), qui superpose savamment différentes émotions pour faire évoluer le personnage avec nuances et conviction. Une blondeur tout droit sortie des années 50, un regard insaisissable, une beauté difficile à décrire, une force tranquille ; elle avait les épaules pour donner corps à Hunter, c’était elle.

Swallow 2 : le retour

Il existe une règle malheureuse pour les jeunes cinéastes, celle qui veut qu’un premier film réussi est souvent suivi d’un deuxième décevant. Aucun intérêt à en énumérer les exemples, intéressons-nous plutôt à ceux qui, unanimement, ont réussi à conjurer le sort : au hasard, Jordan Peele, Ari Aster ou encore Robert Eggers. S’il n’est pas étranger à cette nouvelle garde de cinéma, on souhaite à Carlo Mirabella-Davis le même destin pour son prochain long-métrage, qu’il décrit comme un film d’horreur surnaturel féministe. Reste à savoir qui jouera le rôle de la pie.

En Une : © UFO Distribution

Swallow. De Carlo Mirabella-Davis. Avec Haley Bennett, Austin Stowell… Film américain, français. 1h34. Drame. UFO Distribution. Sortie le 15 janvier 2020.


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