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Zirc-Ocean’s 8, ni vu ni connu j’t’embrouille?

Dans la famille Ocean, on n’avait pas forcément demandé la petite sœur mais on l’a eue quand même. Et c’est Sandra Bullock qui reprend à son compte la franchise de l’arnaque, flanquée de 7 complices (1+7 = 8 comme chacun sait). La frangine Ocean décide de s’attaquer au vol d’un légendaire collier de diamants qu’elle remplace par un faux en zirconium. Et on ne peut malheureusement s’empêcher de trouver que le film reste lui aussi au stade de pâle copie.

Meh Gala

Anne Hathaway, qui s’amuse beaucoup à jouer une actrice sous pression, fait remarquer dans le film que c’est le sens du détail qui fait l’excellence. Et si on devait reprocher quelque chose au film de Gary Ross c’est bien son manque de sens du détail, malgré une production solide. L’intrigue de Ocean’s 8 se passe en grande partie pendant le Met Gala, car le collier de diamants doit être subtilisé pendant cet évènement hautement mondain. Grand dîner annuel organisé au fameux musée new-yorkais sous l’égide de l’iconique Anna Wintour, la rédactrice en chef de Vogue US, immortalisée pour sa tyrannie dans le Diable s’habille en Prada, le Met Gala a pris une ampleur très importante ces dernières années. Les invités triés sur le volet sont la crème de la crème de l’aristocratie artistico-médiatique. Or dans le film, on aperçoit surtout Katie Holmes et Serena Williams, bonnes pâtes, une Kardashian, deux Jenner, Gigi Hadid et furtivement un rejeton Beckham. On veut bien comprendre que le budget de production ne soit pas élastique mais il est question plusieurs fois de l’aspect éminemment sélect des invités du bal dans le film, et celui-ci reste théorique et pas très excitant. En d’autres termes un Met Gala sans Beyoncé et Scarlett Johansson n’est pas vraiment très VIP.

Plus important, l’attention portée aux tenues revêtues ce soir-là est également décevante, malgré le rôle de Helena Bonham Carter, censée être une créatrice punk sur le modèle de Vivienne Westwood. Il faut savoir que, dans la vraie vie, certaines personnes restent quand même debout tard dans la nuit pour voir le défilé des robes de couturiers des invités, toutes plus excentriques et flamboyantes les unes que les autres (on l’a entendu dire, nous on ne ferait jamais ça, on est couchés tous les soirs à neuf heures avec une tisane et Les Confessions de Saint Augustin). Il faut dire qu’un thème est défini chaque année et la compétition féroce.

Prenons la sublime Rihanna par exemple (au hasard). Voici la robe qu’elle porte pour le gala dans le film :

© Warner Bros, Village Roadshow Pictures, Rahway Road, Smokehouse Pictures

Et voici celle qu’elle a réellement portée dans l’édition qui s’est tenue cette année, sur le thème controversé « Créatures Célestes » :

Rihanna au Met Gala 2018

Un seul coup d’oeil permet de déceler le grand écart entre le panache et l’audace de la seconde tenue et la banalité de la première, que Riri aurait pu porter pour aller acheter des Mister Freeze à l’épicerie n’importe quel jour de la semaine.

On se réjouit beaucoup  de voir un film sur l’arnaque au féminin se focaliser sur des centres d’intérêts traditionnellement assignés comme féminins (les bals, les robes, les bijoux) et en faire le coeur de l’intrigue. C’est une très bonne intuition de ne pas se contenter d’un copié-collé des films précédents et de transposer Sandra Bullock et ses copines à Las Vegas avec des cigares, des Rolex et des problèmes de prostate. Mais on regrette qu’il manque un réel plaisir à s’emparer de ces thèmes et une incapacité à se les approprier réellement. Soit par manque d’intérêt (Gary Ross était-il le réalisateur le plus judicieux pour un tel film? On pose la question), soit par manque de nuance dans le regard, et aussi par manque d’humour. Parce que le film déçoit également à ce niveau-là et aucun personnage ni aucune blague ne brillent vraiment par leur originalité, bien que tout le casting se donne à fond.

Bon vieux pot

On reproche également au film d’être un peu daté. C’est assez amusant d’ailleurs car le sujet est mis plusieurs fois sur le tapis. Avec les robes réputées passées de mode d’Helena Bonham Carter par exemple, ou encore les bijoux Cartier, une marque historique dont les jeunes ne sauraient plus prononcer le nom. Le thème choisi pour le bal est d’ailleurs « Les vieilles monarchies d’Europe », un thème vu et revu qui explique peut-être pourquoi la créativité des tenues était en berne. En réalité c’est risqué d’évoquer la question de l’obsolescence parce qu’il y a effectivement quelque chose d’assez obsolète dans le film. On le relève d’autant plus en étant français vu la manière désuète dont le « chic à la française » est dépeint.

Quant à la diversité ethnique, elle est certes visible à l’écran et banalisée. Mais on note que les personnages de minorité sont ceux qui sont envoyés nettoyer les poubelles, laver la vaisselle et servir à table incognito. On comprend très bien pourquoi, étant donné le milieu du gala et la structure générale des choses. Et il n’est pas obligatoire à priori d’aborder le sujet. Sauf que le film ne se prive pas d’évoquer la pression au mariage exercée sur Mindy Kaling par sa mère (on ne sait pas si elle est indienne, pakistanaise ou autre chose, mais trois bouts de tissus exotiques et des colliers de fleurs et on a saisi l’idée). On note aussi que le profil de scientifique de Rihanna est suffisamment atypique pour qu’un personnage le relève et demande des précisions sur sa famille. En fait, tous les personnages sont assez superficiels. Et la promesse de modernité sous-entendue par le dispositif de féminisation des rôles traditionnellement masculins n’est pas tenue jusqu’au bout. Certes, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs soupes et le film est tout à fait efficace dans le genre bonne soupe. Mais il se contente du minimum et reste finalement assez paresseux. C’est dommage. 

Un vol?

Avec Ocean’s 11, personne ne prétendait que le film était “sérieux”. Ici on essaye de faire passer avec beaucoup de sucre (de la soupe au sucre) mais pas beaucoup d’originalité, une question qui reste politique, bien qu’on ait tendance à l’oublier. Eh oui le féminisme c’est avant tout la prétention à l’égalité des droits fondamentaux, un concept pas très rigolo. Dans Ocean’s 8, une toile attribuée à Banksy est utilisée comme une sorte de symbole de lutte féministe, dans une optique de réparation galvanisée. Malheureusement Banksy reste l’artiste le plus faussement subversif de la planète et se contente de tirer profit des luttes qu’il met en scène et prétend embrasser grâce à son sens de la synthèse et du marketing. Retrouver une de ses toiles dans un tel film limite la démarche et la portée de celui-ci. Encore une fois, cela passerait peut-être mieux si le film était hilarant. Malgré tout, on ne peut pas non plus dire que le film soit malhonnête et que le spectateur se fasse arnaquer lui aussi. Ocean’s 8 reste un peu creux et il ne faut pas y réfléchir trop longtemps.

Ceci dit voir des femmes dans ce type de rôles, et le fait que cela constitue encore le principal argument de vente, rappelle combien cela est loin d’être normalisé. On note que les performances au box-office US sont très bonnes, notamment auprès des femmes, révélant un vrai besoin du public féminin. Le cinéma américain, et international, continuera donc sans doute à surfer sur la vague, on espère avec plus de finesse (en tout cas si on compte bien il reste de la place pour un Ocean’s 9 et un Ocean’s 10 avant de rattraper le grand frère). Et si on veut voir l’aspect positif des choses, on peut relever également qu’on a échappé jusque là aux campagnes de haine et de diffamation réservées ces derniers temps aux franchises féminisées. Un petit pas pour l’humanité et un grand pas pour l’humanité en même temps, tout ça grâce à Sandra Bullock. Trop forte !

Ocean’s 8. Réalisé par Gary Ross. Avec Sandra Bullock, Rihanna, Cate Blanchett… Sortie France 13 juin 2018. Produit par Warner Bros, Village Roadshow Pictures, Rahway Road Productions, Smokehouse Pictures. 

Fairouz M'Silti est réalisatrice, scénariste et directrice de publication des Ecrans Terribles. Elle attend le jour où la série Malcolm sera enfin mondialement reconnue comme un chef d'oeuvre.

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