Séries

Pose invite à voguer dans le New York LGBT des années 1980

Avant même sa diffusion, Pose marquait l’histoire. Mais pour exister et convaincre, une série doit savoir aller au-delà du buzz. Grâce à son long pilote (1h14 tout de même), la nouvelle série de Ryan Murphy prouve que sa légitimité ne se limite pas à sa note d’intention. On souffle de soulagement.

Cela fait quelques mois qu’on entend parler de Pose. Déjà parce qu’il s’agit de la nouvelle production de Ryan Murphy, décidément très en forme cette année, après American Horror Story, American Crime Story : The Assassination of Gianni Versace et 9-1-1 ; mais aussi et surtout parce qu’elle s’attache à décrire tout un univers de culture underground, celui de différentes communautés LGBTQ dans le New York pluridentitaire des années 1980. Avec à sa tête un casting d’exception, non pas peuplé de grands noms du petit et du grand écran (comme Murphy a pu nous y habituer), mais du plus large éventail de comédiens transgenres qu’on ait jamais vu. De quoi attirer la curiosité de certains, anonymes comme figures publiques – Laverne Cox, qui ne fait pourtant pas partie de l’équipe, n’a de cesse de jouer l’ambassadrice du projet avec un enthousiasme contagieux – mais aussi, comme par écho, la méfiance des autres. Devant une telle promesse, difficile de ne pas redouter une série qui ne tienne que par son concept. Le pilote, diffusé le 3 juin dernier sur la chaîne américain FX, a heureusement effacé quelques craintes.

Pose nous entraîne dans le New York de 1987. Reagan est à la tête du pays et le rêve américain a le vent en poupe tandis que toute une population, dont la sexualité et les moeurs n’entrent pas dans les cases toutes faites, s’en voit refuser l’accès. Angel, prostituée au grand coeur, se désole de ne pas avoir droit au bonheur. Damon, 17 ans, se retrouve à la rue après que ses parents ont trouvé des revues homosexuelles sous son lit. Blanca, qui vient d’apprendre sa séropositivité, veut en profiter pour vivre pleinement plutôt que de se laisser mourir. Ces laissés-pour-compte, dont le destin pourrait aisément virer au tragique, se réunissent sous un même toit et une même passion : les « bals » underground, des soirées queer où les participants dansent, se montrent et concourent pour gagner des trophées et surtout l’admiration des autres. Au sein de ces bals, certaines « maisons » (comprendre des familles construites par affinité) règnent en maître, comme celle d’Elektra Abundance, matriarche retord et ambitieuse, qui compte bien faire perdurer sa domination. La trahison de Blanca, partie bâtir sa propre famille, va faire des vagues. House Abundance vs House Evangelista : la confrontation ne sera sûrement pas aussi épique que celle des Stark et des Lannister, mais elle n’en sera pas moins féroce.

Pose © FX

Strike a pose !

Pose s’ouvre justement sur la préparation d’un bal par la Maison Abundance. Rires sonores, manières prononcées, démarche droite et assurée, hystérie collective. Le pilote ne nous ménage pas et nous entraîne sans perdre de temps dans ces soirées aux allures de fight club, où les attitudes et le voguing (oui, celui que popularisera Madonna trois ans plus tard) remplacent les poings et la sang. Quitte à perdre sans doute quelques spectateurs, peut-être hermétiques à ce genre de comportement outrancier. Fort heureusement, le scénario de Ryan Murphy et Brad Falchuk ralentit la cadence le temps de nous présenter ses trois personnages principaux. Trois âmes perdues dont la destinée reste à écrire. Et c’est bien là la force principale de ce premier épisode. Tout en présentant au grand public un milieu dont il n’a très probablement que des connaissances réduites, le pilote de Pose trace les contours de personnages en apparence prévisibles (le gamin viré de chez lui, la condamnée à mort, la prostituée repentie) mais qui, on est prêt à le parier, risquent vite de nous surprendre. Et ce sont eux, et les problématiques sociales qu’ils incarnent sans le savoir, qui permettent à cet épisode d’introduction de rester sur les rails. Comment en sommes-nous venus à devoir sauver des gamins de la rue parce que leurs proches n’acceptent pas leur identité sexuelle ? Pourquoi le rêve américain est-il réservé aux mecs blancs bien propres sur eux et ne peut-il s’ouvrir aux latinos, afro-américains, homosexuels, transgenres ? Comment sortir de ce cercle vicieux quand on ne trouve comme seule source de revenu que la location de son corps le temps de quelques heures ? Et si le succès et la réussite, professionnelle ou familiale, sont la clef du bonheur, pourquoi les petits hommes d’affaire à qui tout réussit viennent faire taire leur désespoir dans les bras d’une femme à louer près de l’Hudson River ?

Plus encore que le monde de la nuit, séduisant dans son étrangeté, ce sont ces questionnements sociaux qui semblent fasciner Ryan Murphy et son équipe. La présence imposante de l’empire de Trump dans la narration n’est en ce sens pas anodine (rappelons que l’Amérique Trumpienne était le grand méchant de la dernière saison d’American Horror Story). Pose questionne les possibilités d’accomplissement et d’épanouissement personnel et prend ouvertement le parti des laissés-pour-compte. On s’attendait à voir un combat entre les Maisons Abundance et Evangelista – à raison, d’ailleurs. Mais Pose s’intéresse encore davantage à un affrontement entre le capitalisme-roi (incarné par les white males Evan Peters et James Van Der Beek) et la culture des bals underground, qui recueille principalement des latinos et des afro-américains à qui le monde refuse toute chance. Des personnalités flamboyantes condamnées à rester dans l’ombre (et légitimement interprétées par des nouveaux noms du petit écran). Bien plus politique qu’elle n’en a l’air, Pose plonge à bras ouverts et sans la moindre condescendance dans un sujet pas si simple à traiter et semble en avoir suffisamment sous le coude pour mener ses huit épisodes sur des plates-bandes rarement explorées par la télé américaine. Yassss, queens !

Pose, créée par Ryan Murphy, Brad Falchuk et Steven Canals.
Avec MJ Rodriguez, Ryan Jamaal Swain, Indya Moore, Evan Peters, James Van Der Beek et Kate Mara.
Diffusée sur FX aux USA et Canal + en France.

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

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