Cannes 2018,  Interviews

Rencontre avec l’équipe de Fahrenheit 451 version 2018

La nouvelle adaptation du roman culte de Ray Bradbury sur une ère ultra connectée a investi Cannes, où elle était sélectionnée en hors compétition. Pour porter ce Fahrenheit 451 en forme de brûlot politique, on a rencontré le réalisateur Ramin Bahrani, l’actrice Sofia Boutella, et le capitaine Beatty nouvelle génération, Michael Shannon.

Cinq minutes dans le futur. Notre société sera plus heureuse en étant débarrassée de ce qui entrave son bonheur : les livres et la circulation des idées. Tel est le postulat explosif de Fahrenheit 451 et ses « pompiers » d’un autre genre, traquant les œuvres et faisant des autodafés de toute littérature, version numérique comprise. A l’heure d’Internet, la dystopie du roman de Ray Bradbury a trouvé un écho chez Ramin Bahrani, qui laboure ici un terrain foisonnant pour un cinéma en forme d’agit-prop pour l’éradication de la culture en remplaçant les idées par des emojis. C’est aussi le choix inspiré de Michael B. Jordan (Fruitvale Station, Creed) en pompier torturé, Montag, qui donne la réplique à un acteur fidèle de Bahrani, Michael Shannon. Adjoints de Sofia Boutella, qui incarne une résistante, Clarisse.

Même si vous vous souvenez du livre de Ray Bradbury, que vous avez lu plus jeune, faire cette adaptation présente d’importants défis. Comment avez-vous procédé ?

Ramin Bahrani : Mon but, c’était de rester fidèle aux thèmes, aux idées, et à certains aspects des personnages. Mais je savais qu’il fallait dévier de la source. Cependant, plus je travaillais mon scénario, moins je voyais comment faire fonctionner Fahrenheit 451 dans un monde contemporain. Mais en me documentant,  je me suis rendu compte que Bradbury avait fait des changements pour les adaptations de ses propres romans. Il a donné son accord pour la version de Truffaut qui est différente du livre ; il a adapté Moby Dick pour John Huston en changeant des choses… Je me suis dit que j’allais réimaginer la trame, mais je ne me voyais pas toucher aux thèmes centraux.

Quelle a été l’idée qui vous a fait réaliser que vous teniez votre actualisation de Farenheit 451 ?

R.B. : L’idée que les soldats du feu pouvaient être des superstars sur les réseaux sociaux. Bradbury dit que « c’est un show avec du feu. Parfois, il n’y a même pas besoin de feu, mais il faut que ça reste un show ». Cela m’a fait penser aux définitions actuelles du show, celles des vloggers. L’idée que les livres, les faits sur Internet puissent être contrôlés, Bradbury l’a prédit : il a évoqué le concept des fausses vérités. Il a dit que l’on cherchait à être heureux et à ne pas réfléchir. Est-ce si différent que de demander à un assistant vocal de lire des titres ou des articles, puis y réagir en les likant systématiquement ? J’ai essayé de faire en sorte que des lycéens qui verraient ce film soient gênés et réagissent ; mais aussi que tous les journalistes autour de cette table, plus âgés, puissent trouver leur propre entrée dans le film. Mais je n’ai jamais essayé de trouver un équilibre en m’adressant à des adolescents comme à des adultes.

Il y a de plus en plus de films proposant une dystopie, comme récemment, Blade Runner 2049. Pourquoi faire Fahrenheit 451 maintenant ?

R.B. : La technologie s’est mise à la page de tellement d’idées provenant de la science-fiction. En tout cas, mon film ne se passe pas dans un futur distant, comme le roman de Bradbury, mais dans un avenir alternatif. On voulait que le film se déroule dans un lendemain très proche, mais comportant des choses étranges. Si on bouge quelques-unes de ces idées, on réalise que la vision de Bradbury s’applique à notre société contemporaine. Et on peut voir à quel point cela colle avec notre situation, non pas juste aux Etats-Unis, mais aussi dans le monde : la destruction des idées, des opinions. Et d’une certaine manière, cela montre la faiblesse des partis de gauche : on n’aurait pas dû être si satisfaits de notre dernier président.

On vit dans un monde avec une surcharge d’informations qui peuvent souvent se révéler fausses ou carrément mensongères…

Michael Shannon : Je pense, comme beaucoup, que ce n’est pas bien. Mais j’encourage toujours les gens qui disent en avoir marre de toutes ces « fake news » à faire quelque chose. En même temps, c’est ce que l’on a voulu, comme mon personnage le dit dans le film. C’est nous qui avons voulu nous impliquer dans l’usage de ces nouvelles technologies, et y aller à fond. Même les gens les plus intelligents n’y sont pas hermétiques : ce ne sont pas juste les cons qui jouent à Candy Crush sur leur téléphone ! Je veux toujours que le public réfléchisse à sa propre responsabilité.

Ramin Bahrani : Vous tous, autour de cette table, représentez les derniers bastions contre ce phénomène, en écrivant, en pensant, en transmettant des idées. Mais qui vous lit ? Vos proches eux-mêmes n’ont peut-être pas le temps de lire, et se contentent de « liker ». Je suis aussi terrifié que vous, et c’est aussi le cas pour les réalisateurs : est-ce qu’il y a un public qui va regarder ?

La raison pour laquelle ce film est sur HBO est sans doute parce qu’ils aiment prendre des risques.

R.B. : Effectivement, HBO a beaucoup soutenu ce projet. Ils animent des conversations autour de la culture. Après tout c’est dingue qu’un mec d’Iran puisse faire un film sur un Noir qui découvre Dostoïevski. J’ai toujours trouvé ça fou qu’ils puissent financer un film autour de livres.

Votre chef opérateur, Kramer Morgenthau, a travaillé à la fois au cinéma et à la télé sur des séries comme Game Of Thrones. Comment avez-vous utilisé ses capacités, et votre carrière dans le cinéma indépendant, pour bâtir une dystopie à un budget confortable, certes, mais moindre ?

R.B. : Kramer et moi nous sommes entendus sur la volonté de nous attarder sur les acteurs. Evidemment, ce n’est pas Blade Runner… J’ai pris comme référence Alphaville de Godard et l’esprit étrange des lieux d’Orange Mécanique. La station des pompiers est, en fait, une université. En préparation, on me demandait tout le temps : comment construire ce futur, à quoi ressembleront les voitures ? Et je leur ai répondu qu’on ne construisait pas un futur, mais un lendemain alternatif.

Dans une séquence du film, le personnage de Clarisse joue de l’harmonica. Une scène qui aurait pu sortir d’un film des années 1960 avec des hippies, et pas d’une dystopie futuriste.

Sofia Boutella : C’est intéressant parce que les personnages du film n’ont jamais vu un harmonica. Montag (Michael B.Jordan) n’en a jamais vu un, tout comme il n’a jamais vraiment vu de livres, et j’ai dû me rappeler de cela, même quand je lisais le scénario. C’est un de mes moments préférés du film, car cela relâche la tension.

Farenheit 451 est diffusé sur les chaînes OCS et OCS City depuis le 3 juin, et disponible en VM à la demande sur OCS GO.

Propos recueillis par Florian Etcheverry le 13 mai 2018 lors d’une table ronde en présence de 6 journalistes issus de la presse internationale.

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