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First Cow : Fenêtre sur forêt

Cet article a été initialement publié le 3 Août 2021. Nous vous en proposons une nouvelle lecture dans le cadre de la sortie du film en salles le 20 Octobre 2021.

Avec sept longs métrages en vingt-six ans, la discrète Kelly Reichardt démontre une nouvelle fois son attrait pour les personnages exclus du système économique, arpentant une Amérique loin de ses mythes fondateurs. Une pépite douce et profondément humaine à découvrir sur Mubi, avant sa sortie en salles en Octobre.

First Cow se déroule vers l’an 1820 dans un Oregon encore vierge à défricher. Nous y suivons l’histoire d’une amitié simple et émouvante : celle de Cookie Figowitz (John Magaro), un cuisinier talentueux et taciturne, et de King Lu (Orion Lee), un immigrant chinois, tous deux en quête de fortune. Très vite, nos deux acolytes s’associent et montent un commerce risqué pour lequel ils volent le lait de la première et unique vache arrivée sur le territoire, appartenant au riche propriétaire terrien Chef Factor (Toby Jones). Le film s’ouvre sur une citation de William Blake : « L’oiseau a son nid, l’araignée sa toile, et l’homme l’amitié ». Avec sa caméra, Kelly Reichardt filme la microaventure de deux hommes lambdas pour la rendre grande et universelle.

Profondément humain et bienveillant, First Cow suit des protagonistes dont la capacité à susciter de l’empathie est exponentielle, bien loin des clichés de brutes viriles que nous croisons souvent dans les westerns ou les films traitant de la découverte de l’Amérique. Loin de la fresque monumentale au temps des chercheurs d’or et des mythes fondateurs, la réalisatrice choisit ici de dépeindre un rapport différent à l’histoire des États-Unis, plus intimiste et discret. Le format en 4/3 du film renforce d’ailleurs l’idée que First Cow tient plutôt du portrait que de la fresque.  Tandis que Cookie et King Lu sont représentés comme deux hommes rêveurs et entiers, sans que leur amitié ne tombe jamais dans le pathos (celle-ci reste intacte du début à la fin du film), la haute sphère au pouvoir de cette terre d’abondance est largement tournée en ridicule. Ces derniers veulent en effet donner l’illusion qu’ils sont à l’origine d’une civilisation naissante et fructueuse, alors qu’ils profitent en réalité seuls des ressources de ce nouveau territoire. Pour le reste de la population, tout est boueux et vient de la récupération des matériaux sur place.  

First Cow brille par sa mise en scène bucolique en lumière naturelle, chaque plan capturant avec finesse l’environnement qui fusionne avec les protagonistes. Une main cueillant un champignon, un lézard délicatement retourné pour qu’il puisse continuer son bonhomme de chemin, un corps se cachant puis se révélant parmi les abondantes fougères… Cet anti-western traditionnel magnifie la nature avec une pureté saisissante. Nature que l’on a l’impression de sentir et toucher du doigt tout au long du film, tant la cinéaste parvient à en sublimer chaque élément. Plus qu’une simple sublimation, Kelly Reichardt crée presque un diorama grâce à son travail de miniaturiste sensoriel de la nature. On se laisse fort volontiers embarquer dans cette aventure simple et pourtant bouleversante d’images d’Épinal socialistes du Midwest américain d’avant-guerre, qui n’ont jamais été aussi délicatement capturées. Si cette parenthèse aux allures de conte nous donne l’impression d’être assis près d’une fenêtre avec vue sur une forêt luxuriante, elle est aussi une ode aux hommes et à la nature qui promet un dépaysement poignant.

Réalisé par Kelly Reichardt. Avec John Magaro, Orion Lee, Toby Jones… États-Unis. 02h02. Genre : Western, Drame. Distributeur : Condor Distribution. Depuis le 9 Juillet 2021 sur Mubi. Sortie le 20 Octobre 2021 au cinéma.

Crédits Photo : © Condor Distribution.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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