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The North Water : Homo Homini Lupus Est

Après les séries Looking et The OA, Andrew Haigh nous embarque à bord d’un baleinier aux confins des eaux glacées de l’Arctique dans The North Water. En adaptant le roman éponyme de Ian McGuire, le showrunner britannique livre une épopée sombre et sanglante sur la violence humaine.

Angleterre, hiver 1859. The North Water relate les péripéties de Patrick Sumner (Jack O’Connell), un chirurgien réformé de mauvaise réputation sorti traumatisé par son expérience dans l’armée. Il embarque à bord du Volunteer, un baleinier du Yorkshire, dans l’espoir de laisser derrière lui les horreurs du passé. Malheureusement pour lui, cette traversée sur la riche route des océans du Grand Nord lui fait croiser le chemin d’Henry Drax (Colin Farrell), un harponneur bestial et sanguinaire. En quête de rédemption, et tandis que les véritables raisons de cette expédition se dévoilent, Sumner va devoir lutter pour sa survie… Inspiré du roman éponyme de Ian McGuire paru en 2016, The North Water (Dans Les Eaux du Grand Nord en français) ne laisse aucune place à l’héroïsme et convoque évidemment les œuvres littéraires de Herman Melville et Cormac McCarthy. Aucun homme de l’équipage n’a le goût de l’aventure ou de la pêche, mais tous montrent un intérêt prononcé pour l’argent et la violence dès le premier épisode. Ils laissent tous à leur manière échapper leur noirceur, qu’il s’agisse du capitaine corrompu Brownlee (Stephen Graham), ou encore de son second arrogant Cavendish (Sam Spruell). Seul le sage Otto (Roland Moller) et le petit mousse semblent dotés d’une once d’humanité. Une lueur rapidement écrasée par le reste des personnages. La blancheur immaculée de la neige arctique est rapidement souillée par l’âpreté de cette chasse à la baleine avec des séquences sur la banquise d’un réalisme aussi violent que graphique. Ne lésinant pas sur l’hémoglobine, Andrew Haigh capture crûment la souffrance des hommes et des bêtes, comme la brutalité des âmes et des corps d’un équipage composé en majorité de « monstres ».

Rien ne nous est épargné, et l’on parvient à sentir la crasse, le sang et toutes les odeurs pestilentielles qui entourent les hommes du Volunteer. L’atmosphère est aussi puante que pesante dans ce récit d’aventure dénué de bravoure et peuplé d’hommes condamnés par leurs démons intérieurs et leur barbarie, dont la seule motivation est l’appât du gain. L’équipage représente métaphoriquement l’Angleterre victorienne du milieu du XIXème siècle, gangrénée par l’émergence du capitalisme et la destruction sans sourciller de l’environnement. Tandis que la violence se montre sans apparat à l’image, The North Water prend finalement des airs de tragédie. Une tragédie épique dans laquelle s’affrontent un médecin à l’humanité fragile et un tueur primitif, figure du mal incarné. Jack O’Connell a pris du galon depuis ses premiers pas devant la caméra et montre une nouvelle fois son intensité fascinante dans la peau de Sumner. Comme à chacune de ses apparitions, le comédien britannique bluffe par son jeu juste, brut et habité qui donne complexité et dualité à ses personnages. Méconnaissable, Colin Farrell fait quant à lui une performance qui fera date pour son retour à la télévision, six ans après la deuxième saison de True Detective, sous l’apparence d’un marin amoral à l’aura animale assoiffé de sang et de violence. 

Malgré un récit un peu mou par endroit, notamment dû à l’utilisation parfois superflue de flashbacks et un final en demi-teinte, The North Water emporte par son duo de comédiens aussi captivants que terrifiants, ses seconds couteaux tout aussi fascinants, mais aussi par la magnificence des paysages polaires et sa mise en scène sobre et glaciale. L’immersion est totale, et on ressent véritablement le froid du Grand Nord. On ne peut par ailleurs pas s’empêcher de compatir avec les comédiens, qui ont tourné durant près d’un mois et demi par moins zéro au Nord de la Norvège. « Homo Homini Lupus Est » (L’Homme est un loup pour l’Homme) nous disait Thomas Hobbes. Une citation qui revient à plusieurs reprises dans la mini-série, et devient effroyable lorsqu’elle est murmurée par Drax en pleine tempête de neige. Mon visage s’est glacé comme celui d’O’Connell.

Mini-série créée par Andrew Haigh. Avec Jack O’Connell, Colin Farrell, Stephen Graham… Grande-Bretagne. 5 Épisodes x 60 minutes. Genres : Drame, Thriller. En intégralité sur Salto depuis le 8 Octobre 2021.

Crédits Photo : © BBC/PA.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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