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Le Consentement : L’ogre et la jeune fille

Avec Le Consentement, Vanessa Filho met en images l’emprise et l’endoctrinement sexuel que Gabriel Matzneff exerçait sur l’autrice Vanessa Springora alors qu’elle n’avait que 14 ans. Une œuvre rugueuse et glaçante qui devrait terrasser plus d’un spectateur.

« À quatorze ans, on n’est pas censée être attendue par un homme de 50 ans à la sortie du collège, on n’est pas supposée vivre à l’hôtel avec lui, ni se retrouver dans son lit ». Ces mots, qui tombent sous le sens, sont ceux que Vanessa Springora a couché sur papier dans son livre Le Consentement, après trente années de silence. Le cinquantenaire en question, même si elle ne le nomme pas ouvertement dans son ouvrage, c’est Gabriel Matzneff. Un homme de lettres, éduqué, malin, soutenu par bon nombre d’intellectuels et de politiques. Un homme également manipulateur, prédateur et amateur de jeunes filles et de jeunes garçons, dont l’intérêt s’évanouit une fois l’âge adulte atteint. Des faits dont il ne se cachait pas, les exposant fièrement et sans détour dans plusieurs de ses publications. Aujourd’hui, certaines d’entre elles sont interdites. Autre temps, autres mœurs, bien sûr… Mais on se demande tout de même comment, à l’époque, les lecteurs ont pu soutenir ces textes sans lyncher leur auteur sur la place publique.

Contrairement au livre de Vanessa Springora, son adaptation cinématographique ne se cache pas derrière des initiales. Là où l’autrice souhaitait que chaque victime puisse imaginer son propre bourreau entre ses lignes, Vanessa Filho nomme frontalement le criminel au cœur de cette histoire : Matzneff. Sa verve, son regard, son tempérament, son érudition, ses jeux de manipulation. Sa présence étouffante. L’héroïne du Consentement est bien évidemment Vanessa, de sa rencontre avec Matzneff alors qu’elle n’a que 13 ans à leur séparation quelques années plus tard. Mais la figure centrale, c’est bien lui. L’ogre, comme l’appelle Springora. Celui qui dévore tout. Comme un monstre, Vanessa Filho le décortique, le regarde, l’analyse, membre par membre, pore par pore. Son crâne. Son regard. Ses lèvres. Ses mains, surtout. Cruelle réalité, car c’est par ces mains que sont nés les textes de Matzneff – ceux qui ont fait sa gloire -, mais aussi que sont advenus les actes les plus abjects. La caméra de la réalisatrice ne les lâche pas. Ces mains qui étudient, ces mains qui communiquent, ces mains qui touchent. Les scènes où elles se posent, osseuses et tendues, sur le corps fébrile d’une jeune adolescente terrifiée devraient faire planer un malaise éprouvant dans toutes les salles de cinéma.

© Julie Trannoy.

Loin de se limiter à n’être qu’un film à charge, ou le portrait complaisant d’un prédateur, Le Consentement est aussi une œuvre très sensible, qui nous plonge dans la psyché d’une jeune fille solitaire et mal-aimée, constamment déchirée entre la terreur et un amour dangereux. Une jeune fille qui veut grandir trop vite, ne semble pas intéresser ses parents et à qui on promet mille merveilles : celles d’être adulée, de côtoyer les hautes sphères, de devenir une muse et de vivre une relation brûlante, d’un genre interdit aux jeunes de son âge. Ou simplement qu’on s’intéresse un peu à elle… Dans ce rôle constamment à fleur de peau, Kim Higelin est d’ailleurs prodigieuse. Sa fébrilité, sa solitude, son amour vibrant, sa dépendance et sa terreur traversent l’écran à chaque seconde. Face à elle, force est de constater que Jean-Paul Rouve en impose en ogre littéraire. Avec ce rôle qu’on imagine terriblement difficile à endosser, le comédien prouve qu’il peut être un monstre de cinéma (dans tous les sens du terme). Là où les acteurs habitués aux grosses comédies qui tachent semblent toujours sur le point de balancer une blague, même dans les films qui ne s’y prêtent pas, Rouve se révèle une bête de charisme et incarne avec la même intensité l’auteur au magnétisme ravageur et le criminel aux manipulations sordides. 

Grâce à ses deux interprètes, au courage de Vanessa Springora et à la délicatesse de Vanessa Filho, le film dépasse toutes les attentes et évite la partition du fait divers nauséabond et malaisant. Cerise sur le gâteau, il permet, une fois de plus, de questionner la supposée séparation entre l’homme et l’artiste, qui revient dans les médias et sur les réseaux sociaux à chaque nouvelle sortie d’un Woody Allen, d’un Polanski ou d’un Besson (pour ne citer qu’eux). Le talent artistique pardonne-t-il toute exaction ? Dans ses pages, l’autrice écrivait : « Tout autre individu qui publierait la description de ses ébats avec un adolescent philippin ou se vanterait de sa collection de maîtresses de quatorze ans serait immédiatement considéré comme un criminel. La littérature excuse-t-elle tout ? »En montrant sans détour les agissements pervers et calculés d’un prédateur à des milliers (on espère des millions) de spectateurs, peut-être le film parviendra-t-il à faire bouger les mentalités sur la question. Pour que les ogres comme Matzneff, jamais véritablement inquiétés, n’échappent pas éternellement aux condamnations.

Réalisé par Vanessa Filho. Avec Kim Higelin, Jean-Paul Rouve et Laetitia Casta… France. 01h58. Genre : Drame. Distributeur : Pan Distribution. Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement. Sortie le 11 Octobre 2023.

Crédits Photo : © Julie Trannoy. 

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

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