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Club Zero : Le cercle des ados affamés

Après Little Joe (2019), Jessica Hausner revient dans les salles obscures avec Club Zero, satire anxiogène jusqu’au-boutiste sur la protection de l’environnement en compétition au Festival de Cannes 2023. Estomacs sensibles s’abstenir.

Miss Novak (Mia Wasikowska) rejoint un lycée privé où elle initie un cours de nutrition avec un concept bousculant les habitudes : l’Alimentation Consciente, qui vise à manger moins, voire plus du tout. Un dispositif zéro calorie et zéro mastication rendu possible selon elle par le simple lien entre la volonté et l’âme qui, à force de travail, peut garantir la survie de chaque être humain grâce à une meilleure répartition des ressources, et même permettre d’échapper à la fin du monde. Sans que Miss Novak éveille les soupçons des professeurs et des parents, une poignée d’élèves, qui va de l’éco-anxieux au boulimique, tombe rapidement sous son emprise et intègre l’angoissant Club Zero. La mise en scène froide et chirurgicale, quoique haute en couleurs, d’Hausner fait une nouvelle fois mouche. Dès la séquence d’ouverture, le cadre est précis et posé dans un souci constant de plans « parfaits », où rien ne dépasse malgré des décors boulimiques des plus luxueux et colorés. Des grandes maisonnées bourgeoises à l’établissement privé, la réalisatrice autrichienne installe une atmosphère rigoureuse et glaçante qui ne fait qu’amplifier la perte de repères et le mal-être, propres à leur âge, des adolescents sous le joug de leur professeure.

Dans cette satire radicale qui va titiller certains de nos complotistes contemporains, Jessica Hausner dresse le portrait d’une société individualiste gangrenée par la peur et la responsabilité écologique, où chacun perd progressivement sa personnalité, sa sensibilité et ses marques. Par le biais de protagonistes adultes aux traits quasi caricaturaux (les parents absents, la mère anorexique qui projette sur sa fille, le parent d’élève intrusif et dérangeant, la mère célibataire au bout du rouleau), Jessica Hausner tisse en filigrane les revers de parents totalement irresponsables, plus soucieux de faire bonne figure au sein de la société que de l’éducation de leur progéniture. Le film plonge dès lors progressivement dans la folie et le non-sens jusqu’à la nausée, au sens propre comme au figuré. Si ce traitement de l’adulte peut sembler classique, force est d’avouer qu’il accentue ici la portée de cette thérapie fumeuse et des dérives nauséabondes qui en découlent pour les adolescents, maigrissants et jaunissants sous nos yeux impuissants. Un dépérissement qui n’est pas sans rappeler l’emprise de la fleur « Little Joe » sur les personnages du précédent film de la réalisatrice qui, à mesure qu’elle grandit, va révéler sa vraie nature, pas si inoffensive que ça. On regrette que l’humour noir ne soit pas d’avantage au menu par moment, cela aurait contrasté merveilleusement avec la froideur de la mise en scène. Timidement provocant ou maladroitement sage, je ne saurais trancher, étant moi-même déroutée par le projet. Mais Club Zero reste un objet aussi étonnant que terrifiant qui divisera à coup sûr les spectateurs.

Réalisé par Jessica Hausner. Avec Mia Wasikowska, Sidse Babett Knudsen, Elsa Zylberstein… Autriche, Allemagne, France, Grande-Bretagne, Danemark. 01h50. Genres : Drame, Thriller. Distributeur : Bac Films. Avertissement : des scènes, des propos et des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs. Présenté en Compétition Officielle au Festival de Cannes 2023. Sortie le 27 Septembre 2023.

Crédits Photo : © Coproduction Office.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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