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Le Menu : Mange tes Riches !

Popularisée entre autres par les réseaux sociaux malgré son essence élitiste, la haute gastronomie s’est installée de manière durable aux sommets des tendances et, avec elle, l’acceptation des violences a priori inhérentes au milieu. De là à imaginer mettre en scène une dégustation de luxe en huis clos macabre et décadent, il n’y a qu’un pas que franchit avec allégresse Le Menu, dernier film de Mark Mylod coécrit par deux anciens rédacteurs de The Onion. Une satire carnassière qui oscille, avec une grâce insolente et triviale, entre excitation et idiotie.

C’est en dînant pour sa lune de miel dans le prestigieux établissement Cornelius Sjømatrestaurant situé à une demie-heure des côtes norvégiennes, que le scénariste Will Tracy, autoproclamé foodie, a eu l’idée d’en faire le point de départ d’un film. Ou plus exactement, c’est en voyant le bateau repartir avant le début du dîner et en glissant dans une spirale d’angoisse claustrophobe, que le concept d’un restaurant chic isolé, transformé en piège à rats, a commencé à germer dans sa tête. Le Menu met en effet en scène un groupe de gourmets très select embarqué sur une île pour un dîner gastro hors de prix à Hawthorne, dirigé d’une main de fer dans un gant de fer par le chef Julian Slowik, interprété par Ralph Fiennes. Or, quand Voldemort est aux fourneaux, on se doute assez vite que la soirée va déraper. Mais il serait dommage d’en dire trop sur l’intrigue car son jus provient en grande partie d’une forme d’excitation primale liée au déroulé d’un jeu de massacre pervers auquel on est heureux d’assister sans en faire partie. Un concept antédiluvien immortalisé par les gladiateurs romains et dont l’efficacité se confirme encore aujourd’hui par le succès des émissions de compétition culinaire de télé-réalité. Et la comparaison ne manque d’ailleurs pas de traverser l’esprit devant ce Menu sadique, à une époque où la sueur et l’humiliation en cuisine ne cessent d’être in, pour peu qu’on puisse fermer les yeux au moment de se régaler et/ou faire de jolies photos d’assiettes. Paraît-il que l’excellence se mérite et qu’on ne fait toujours pas d’omelettes sans casser des œufs…

Et la casse, c’est pas ça qui manque dans la recette bien huilée du Menu. Flanqué d’un ancien camarade de The Onion, Seth Reiss, Will Tracy cartonne, entre autres : les richoux blasés au palais insensible, les critiques ego-maniaques à courte-vue et leurs courtisans obséquieux (voir le film en projection presse dans une salle remplie de critiques ciné en devient d’ailleurs tout à fait savoureux), les foodies arrivistes pour qui l’apparence fait le goût (on rêverait de mettre des claques à Nicholas Hoult mais le film a la gentillesse de s’en charger), les mercenaires prédateurs amputés de l’émotion ou encore les vendus paresseux qui ont renoncés à leur intégrité… Mais malgré de nombreuses références socio-politiques à la violence en coulisses, le film reste sur une fréquence superficielle et réduit la question des abus de pouvoir à des traumas d’enfance mal réglés. A l’instar du sandwich idiot au pain de mie de Gordon Ramsay devenu une sensation internet, Le Menu préfère jouir du malheur de ceux qui commettent le crime ultime d’être déconnectés du plaisir et surtout de la joie. Saupoudrée d’un large cynisme à la fois juvénile et sentimental qui fleure bon l’humour de vestiaires, la dégustation fait sourire, parfois rire et souvent rouler des yeux. Mais la mise en scène léchée de Mark Mylod, transfuge de la série Succession, est très bien dans le sens où elle aurait pu être largement pire. On apprécie sa relative sobriété et le choix d’une sophistication qui vient équilibrer la démagogie du propos. On se retrouve d’ailleurs tout à fait dans un extrait de critique d’Empire qui décrit le film comme « du fast-food déguisé en gastronomie ». Mais cette bouillabaisse de luxe est en fin de compte sauvée par son casting cinq étoiles d’une grande générosité, qui interprète sans ironie ni commentaire des personnages détestables, incapables pour la plupart d’apprécier le moment présent même quand il coûte les yeux de la tête. On les plaindrait presque, mais on préfère plutôt faire une bonne grosse sieste pour digérer.

Réalisé par Mark Mylod. Avec Ralph Fiennes, Anya Taylor-Joy, Nicholas Hoult… États-Unis. 01h48. Genres : Thriller, Epouvante-horreur. Distributeur : The Walt Disney Company France. Interdit aux moins de 12 ans. Sortie le 23 Novembre 2022.

Crédits Photo : © 20th Century Studios. All Rights Reserved.

Fairouz M'Silti est réalisatrice, scénariste et directrice de publication des Ecrans Terribles. Elle attend le jour où la série Malcolm sera enfin mondialement reconnue comme un chef d'oeuvre.

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