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Trois raisons d’aller voir « The Last Hillbilly »

Au sein d’une zone reculée des USA, une plainte s’élève. Comment survivre dans une région pauvre que tout le monde commence à quitter ? Comment s’y épanouir quand tout le pays vous voit comme des bouseux de première catégorie ? Les Français Diane-Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe se sont intéressés à ces questions, et on vous donne trois bonnes raisons de prendre part au voyage.

1/ Parce qu’il témoigne de la disparition de tout un mode de vie

Lors d’un voyage au Kentucky en 2013, les deux réalisateurs ont croisé la route de Brian Ritchie, qui les accoste et s’interroge sur leur présence de manière désinvolte. Brian a vécu sa vie dans les Appalaches, chaîne montagneuse de l’Est des États-Unis. Il a assisté au déclin de la région, au départ de ses amis, à la mort de ses proches. Ces montagnes qu’il aime, il les a vues changer, se vider, s’appauvrir. « The Last Hillbilly », c’est lui. Une âme errante, vestige d’un ancien temps qui ne reviendra plus. Celui des mineurs de charbon, qui ont aidé à faire des États-Unis la puissance qu’elle est désormais. Celui de travailleurs rapidement obsolètes une fois que la roche a fini par manquer. De simples montagnards, ils étaient devenus de courageux travailleurs. De courageux travailleurs, ils sont passés à de simples hillbillies, littéralement « les péquenauds des collines ». Un nom chargé d’a priori, de jugement, de mépris. Dans une séquence extrêmement forte au début du film, Brian fait preuve d’une grande lucidité sur l’image qu’ils renvoient au reste du pays. Celle d’un peuple ignorant, inéduqué, pauvre, consanguin, violent, raciste et fortement responsable de l’élection de Trump en 2016. Et c’est en grande partie vrai…, dit-il. Une population qui a vu son avenir détruit quand le monde a évolué et qui peine depuis à trouver une manière de s’en sortir. 

2/ Pour son ambiance scotchante de fin du monde

Bâtiments en mauvais état, terres à l’abandon, peu de choses à y faire : bienvenue dans le Kentucky, l’État le plus pauvre du pays. Ici, l’apocalypse a déjà eu lieu. C’est le genre de territoire, abandonné, quasi-dévasté, que les westerns savent magnifier le temps de quelques plans spectaculaires sur de grands espaces désertés par la vie humaine. Diane-Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe, eux, ont resserré le cadre. Pas de panoramas, mais un format 4/3 un peu désuet, un peu étouffant. Et pour cause : ce qui les intéresse, ce ne sont pas ceux qui sont partis, mais précisément ceux qui sont restés et qui survivent tant bien que mal sur ces terres devenues inhospitalières. Dans The Last Hillbilly, l’image est terne. La voix-off, loin d’être explicative, ressemble à une plainte fantomatique, à la fois poétique et désespérée. C’est d’ailleurs à Brian Ritchie lui-même qu’on la doit. Il l’a écrite, l’a enregistrée, seul, quand l’inspiration venait. Ces plaintes, ce sont celles d’un enfant du pays qui refuse de quitter ses terres mais ne sait plus comment y vivre. Comme en écho, la musique originale du film (signée Jay Gambitt) se fait lourde, étouffante, lugubre même, comme annonciatrice d’un désastre inéluctable. Une atmosphère surprenante et profondément marquante pour un documentaire qu’on n’attendait pas du tout sur ce terrain.

3/ Parce qu’il y est beaucoup question d’héritage (et qu’il n’est pas si sombre que ça)

À nous lire, et à écouter les propos désabusés de Brian Ritchie, on pourrait croire que The Last Hillbilly conte la condamnation d’un groupe à disparaître. Là encore, c’est en partie vrai. Mais le documentaire parle aussi beaucoup de transmission. Brian prend à cœur de parler de l’histoire des Appalaches et de son histoire à lui, tant aux deux réalisateurs qu’à ses propres enfants. Pierre après pierre, parole après parole, le film déconstruit les clichés qui collent aux basques des hillbillies et revient sur leurs accomplissements, leurs exploits, mais aussi sur la manière dont ils ont été exploités, sacrifiés et désormais moqués par toute une nation. Et s’il est empreint de fatalisme, le film sait se faire lumineux. Petit à petit, les enfants prennent la place de Brian, au sein du cadre et de la narration comme ils la prendront plus tard dans le monde. Soudainement, c’est à leur vision qu’on s’intéresse, à leur situation, leurs rêves et leurs espoirs. Certains s’ennuient profondément – “tout ce qu’on peut faire ici, c’est se balader et dormir !” -, d’autres s’en accommodent – “oui mais c’est bien suffisant !” -. Mais ça ne les empêche pas d’imaginer leur futur, à la ville ou ailleurs, et leur avenir professionnel. Peut-être Brian sera-t-il vraiment le tout dernier hillbilly, dernier vestige d’un temps révolu, mais cet héritage et les valeurs qu’il leur a transmises perdureront à travers eux. Il incombera à ces enfants d’en faire ce qu’ils souhaitent, ou du moins ce qu’il leur sera possible dans un pays en crise qui se complaît un peu trop à leur cracher au visage sans se remettre lui-même en question.

Réalisé par Thomas Jenkoe & Diane-Sara Bouzgarrou. Avec Brian Ritchie. France, Qatar. 01h20. Genre : Documentaire. Distributeur : New Story. Sortie le 9 Juin 2021.

Crédits Photo : © New Story.

Élevé dès le collège à la Trilogie du Samedi. Une identité se forge quand elle peut ! Télé ou ciné, il n'y a pas de débat tant que la qualité est là. Voue un culte à Zach Braff, Jim Carrey, Guillermo DelToro, Buffy et Balthazar Picsou.

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