Cannes 2018,  Courts métrages

La Chanson, un moyen métrage entêtant

Avec “La Chanson”, la jeune dramaturge Tiphaine Raffier réalise un moyen métrage délirant, à l’esthétique léchée. Une vision du monde en forme de conte de fées grinçant. Après sa présentation cannoise dans le cadre de La Quinzaine des réalisateurs, ne manquez pas de découvrir ce film lors de sa projection au Forum des images le 3 juin 2018 à 17h. 

Tiphaine Raffier est actrice, auteure et dramaturge.  À 31 ans, le jeune femme a déjà une grande expérience de la scène. À l’origine de son moyen métrage, La Chanson, un premier spectacle qu’elle réalise en 2012 dans le cadre de Prémices, le Festival de la jeune création théâtrale. Suivra Dans le nom, repris au théâtre du Nord et en tournée en 2016-2017. Sa dernière pièce de science-fiction, France-fantôme, traite du deuil et de la mémoire, dans une société où les gens peuvent se réincarner et où leurs souvenirs sont téléchargés. Transhumanisme, homme augmenté : autant de thèmes appartenant à la SF habituellement  rares au théâtre.

La Chanson, c’est l’histoire de trois amies d’enfance, qui rêvent de remporter le concours « Sosie Tour 4000 » avec leur interprétation de SOS d’Abba. La Chanson, c’est un décor de cinéma qui aurait jailli d’un mirage capitaliste bleu et rose, espace utopique aussi flippant qu’esthétique. Tout débute par la construction de Marne-la-Vallée, ville nouvelle imaginée dans les années 60, et ses 3000 hectares environnants revendus à Walt Disney. C’est ici qu’a grandi Pauline, l’héroïne un peu larguée de cette drôle de fable. « Disney-Land n’était pas le pays de l’imaginaire. Disney-Land était le pays de la nostalgie », affirme-t-elle. Autour des lacs synthétiques, des hauts-parleurs diffusent, jour après jour, de la musique, tandis qu’inlassablement, Barbara, Jessica et Pauline répètent leur numéro. « Where are those happy days, they seem so hard to find »… L’enfance éternelle, figée dans un joli décor de carton pâte.

La Chanson parle du rapport ambigu entre réel et fiction. Une dystopie enracinée dans l’ère contemporaine qui prend une forme hybride, entre documentaire, drame et SF. Mais c’est aussi une interrogation sur notre capacité à agir. Tout à coup, Pauline prend position. Elle décide de composer de la musique. Son désir de création se heurte à celui de ses amies – Barbara est génialement méchante -, qui ne lui trouvent aucun talent et font barrage contre elle. « Tu ne chantes pas, tu parles », assène Barbara. Accompagnée de son synthé, Pauline chante les notices des appareils électroniques, du cadre-photo numérique à la batterie au lithium, en passant par le Walkman. Mettre des mots sur les choses, c’est échapper au vide et au néant, lutter contre l’obsolescence programmée – hommes et machines confondues. Tiphaine Raffier repousse les limites de la satire économique jusqu’à son paroxysme, tout en y incluant une dimension irrésistiblement loufoque. La Chanson serait peut-être, alors, une manière de dire et penser le monde, en exploitant la mythologie de Marne-la-Vallée, de sa naissance à son anéantissement. Un moyen métrage délirant, à la facture ultra-maîtrisée, qui épouse un grand nombre de nos problématiques modernes.

Réalisé par Tiphaine Raffier. Avec : Tiphaine Raffier, Noémie Gantier, Victoria Quesnel. 31mn. Sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs 2018. Production Année Zéro. 

>> Projection au Forum des images le 3 juin 2018 à 17h : Détails du programme

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