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ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD : Il était une fois une fin de règne

Article initialement publié le 22 mai 2019 dans le cadre du Festival de Cannes. Sortie en salles : 14 août 2019

Once Upon a Time… in Hollywood, le dernier film de Quentin Tarantino, légende cannoise, et sa myriade de stars étaient attendus comme Lionel Messi pendant la Ligue des Champions. Au paroxysme du fan service et sans histoire proprement dite, le film est un fantasme nostalgique et problématique, sur l’âge d’or d’Hollywood. Période bénie où les hommes les vrais n’étaient pas du genre à chouiner et sauvaient la princesse à la fin. Charlie Sheen va adorer #winning.

14h30. La tension monte. Il est habituel de croiser des gens avec des panneaux pour récupérer des invitations autour du palais. Les voir se déployer plus haut en centre-ville est plus rare. Mais l’effet Tarantino n’est plus à démontrer. Du côté de la salle Debussy, petite soeur reléguée du Grand Théâtre Lumière, les journalistes commencent à faire la queue pour la séance de presse de 16h30, chacun à la borne qui correspond à la couleur de sa pastille. Chaque pas et chaque placement comptent. On pressent que les entrées vont se jouer au compte-goutte. La tension monte d’un cran, minute par minute, jusqu’à atteindre son paroxysme. Les pastilles jaunes, les plus bas du classement, sont renvoyées chez elle sans ménagement, même pas la peine d’essayer. Les ouvreurs aux allures de garde du corps doivent exiger de la retenue “Ne poussez pas!”, “Monsieur si je vous vois arriver devant moi après être passé devant les gens, je vous dégage, sauf votre respect”. Il était une fois Cannes, un folklore.

Emportés par la foule, on se fait scanner le code-barre in extremis, en passant nous-mêmes discrètement devant pas mal de monde. On n’est pas loin d’atteindre l’extase. On n’était pas partis pour jouer ce jeu, ça s’est fait tout seul, tant il est quasi impossible de résister à la fièvre. On s’attend à voir arriver Tarantino avec la redingote de Willy Wonka à tout moment pour veiller au tri des élus parmis ses ouailles. Quelques rares personnes extra-lucides verbalisent à voix haute l’absurdité de la situation, comme cette femme atterrée qui aimerait bien être ailleurs : “On marche sur la tête”. Avant même la séance, on a la sensation de faire partie du récit, comme un flashmob avant le générique du début. Une fois dans la salle, un émissaire envoyé par Tarantino lui-même vient lire un mot réclamant la discrétion des journalistes dans leur dévoilement de l’intrigue pour ne pas gâcher le plaisir. Au balcon une personne hurle que la méthode est scandaleuse. On n’a pas de visuel sur son visage mais on sent le mec au bord de l’apoplexie. Encore une fois, la sécurité est obligée de sévir “Oh! Vous vous calmez!”. Qu’est-ce qui est incolore, inodore et qui flotte dans l’air ? L’hystérie collective.

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Margot Robbie. Copyright Sony Pictures

Bon, et le film me direz-vous ? Ambiancés comme jamais, on se laisse glisser doucement dès le logo customisé de la Columbia. Ohlalala, ça va être bouillant. Tarantino annonce la couleur direct, on va assister à une grand-messe de cinéphiles et, galvanisés par la sensation d’être une poignée de privilégiés, on attend en tremblant de se faire oindre par l’équivalent du joueur de foot le plus populaire de l’école. Prends-moi Quentin, prends-moi à la sauvage. Mais on va devoir bientôt se rendre à l’évidence, consommer son fantasme c’est toujours décevant, à moins d’être sous l’influence de stupéfiants ou de se mentir un peu à soi-même.

Dans sa mise en scène de l’âge d’or d’Hollywood, Tarantino choisit de mettre en parallèle Rick Dalton et Sharon Tate. Dalton, vieux cowboy à la gloire passée qui déteste les hippies, exprime ses émotions par la violence et l’alcool, et se sent menacé par le professionnalisme des petites filles de huit ans. Son garde du corps Cliff Booth, jamais inquiété pour le meurtre de sa femme (elle avait qu’à être plus gentille et ne pas le traiter de loser elle aussi), est un factotum dévoué et ombrageux, dont le coeur ne bat que pour sa chienne qui elle, au moins, sait fermer sa bouche et lui obéit au doigt et à l’oeil. Pendant que Dalton a des sueurs froides en réalisant que sa carrière est peut-être derrière lui, que les temps changent et qu’il ne sait plus comment se positionner, Booth fait du bricolage et rencontre des hippies mineures (c’était les années 60 après tout), lascives et inquiétantes. Et Sharon Tate dans tout ça ? Elle vit sa vie tranquillement, conseille à son Polanski de mari de lire Thomas Hardy, reste positive et fraîche comme un bonbon bien qu’elle n’ait pas encore obtenu de rôle à la hauteur de son talent.

Pendant deux heures tout ça ne va beaucoup plus loin, et honnêtement parmi tout le panel des émotions humaines à notre disposition, on ne s’attendait pas à ressentir de l’ennui devant un film de Tarantino. On ne doit pas être très sensible à la crise existentielle des mâles blancs hétérosexuels égoïstes et violents, sans doute parce qu’on est une vilaine féministe. Et c’est pas Brad Pitt torse nu sur les toits qui nous fera frétiller et changer d’avis, preuve que les temps ont vraiment changé. La deuxième partie du film se résumerait assez simplement en [SPOILER ALERT] Inglorious Basterds 2 : Real Men take Charles Manson’s Army. Or on ne pourrait pas se sentir moins concernés par ce fantasme qu’on qualifiera – pour rester correct et concis – de gênant. Le plus dérangeant dans tout, ça c’est que la forme du film laisse entendre qu’il déploie un questionnement métaphysique profond. Mais une profondeur au goût et à l’échelle de fond de cendrier froid. Quentin Tarantino n’a pas changé, nous si.

Once Upon a Time in Hollywood. Un film de Quentin Tarantino. Avec Leonardo Di Caprio, Brad Pitt, Margot Robbie, Al Pacino, Kurt Russell… Distribution : Sony Pictures Release France. Durée : 2h39. Sélection : Cannes / Compétition officielle. Sortie France : 14 août 2019.
Photo en Une : Leonardo Di Caprio. Copyright 2019 Sony Pictures Entertainment.

Fairouz M'Silti est réalisatrice, scénariste et directrice de publication des Ecrans Terribles. Elle attend le jour où la série Malcolm sera enfin mondialement reconnue comme un chef d'oeuvre.

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