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Souvenirs, souvenirs

Première copie avec Kiarostami

Enfant, je voulais devenir journaliste. J’ai toujours eu un amour des mots, que je cultivais à l’antenne d’une émission de radio locale depuis que j’avais une dizaine d’années. J’y lisais mes poèmes d’enfant et critiquais les sorties culturelles. Plus tard, à Lunel dans l’Hérault, j’ai changé de lycée entre la seconde et la première afin de profiter de l’option cinéma. Je dois avouer l’avoir choisi en partie pour marcher dans les pas de ma grande sœur et pour fouler les tapis rouges de La Croisette pendant le voyage scolaire annuel ! Mais je développais aussi une curiosité grandissante pour le 7e art. Je me rendais très régulièrement à la médiathèque de Lunel qui était bien fournie. J’y empruntais des films éclectiques de réalisateurs que je ne connaissais pas forcément, et je me lançais des défis en visionnant le plus grand nombre possible de films d’un même cinéaste. Le binge-watching n’est pas réservé aux séries, n’est-ce pas ?

En première, chaque vendredi soir était dédié à une séance en salle de cinéma. Nombreux sont les longs métrages qui se sont ainsi succédé sur cet écran du cinéma Athénée ! Des films plus ou moins réjouissants, plus ou moins primés, plus ou moins compris, mais toujours visionnés dans la bonne humeur. Je construisais alors ma cinéphilie avec des œuvres que je recevais comme des blocs émotionnels, ne pouvant les contextualiser et les intellectualiser. Ces films du vendredi ne nous laissaient pas forcément une empreinte impérissable, mais ils avaient le mérite de nous familiariser à des ambitions esthétiques et à la puissance politique des images. J’ai par exemple découvert sans grand enthousiasme dans le cadre scolaire des films comme L’enfant sauvage de Truffaut, qui est depuis devenu un réalisateur qui compte beaucoup pour moi. C’est durant ces deux années de lycée que j’ai découvert Weerasethakul, Kaurismäki ou encore Watkins avec le violent Punishment Park qui m’a laissé une trace du fait de sa frontière poreuse entre documentaire et fiction. Je me souviens aussi de la découverte de la puissance du plan-séquence avec un court métrage comme La peur, petit chasseur de Laurent Achard.

Mais un film m’a marquée plus qu’un autre, c’est celui-là même qui, j’en suis sûre aujourd’hui, m’a véritablement donné l’envie d’écrire sur le cinéma. Nous sommes en 2010 et je découvre Copie conforme, un bien curieux long métrage dans lequel Juliette Binoche déambule dans les rues d’un village italien, jouant avec son identité. Abbas Kiarostami superpose la réalité et la fiction, dévoile les mécanismes de la mise en scène et explore les possibilités du jeu – celui du comédien, mais aussi celui de la séduction et des rapports humains. Mes souvenirs de ce film sont paradoxalement flous et marquants. Je me souviens avoir ressenti une véritable fascination pour des codes narratifs qui ne m’étaient pas familiers, avec notamment une sensation déconcertante d’écoulement réel du temps.

Copie conforme m’est resté en tête tout le week-end et, dès la sortie de la projection, j’ai ressenti une envie immédiate d’écrire pour explorer les richesses de sa mise en scène. Je n’étais pas sûre de bien comprendre les enjeux du film, mais avais envie d’en percer les mystères. Je voulais jeter sur le papier les idées qui m’avaient traversées l’esprit pendant ce film. Pour la première fois je ressentais le besoin de dépasser le stade du ressenti pour passer à l’analyse, faire coïncider les images et l’émotion qui s’en dégageait avec des procédés techniques ou de mise en scène, chercher la réponse à des questions que je me posais, me placer du point de vue du réalisateur. Or nous étions invités à nous exprimer sur les films au travers d’une critique très libre si nous le souhaitions. Étant une élève assidue, je rendais toujours une copie au professeur, mais j’étais véritablement contente du contenu de celle-ci. Une critique qui m’a valu une très bonne note, mais qui a surtout déclenché une véritable envie !

Une envie qui ne s’est plus tarie par la suite, et que j’ai pu mettre en pratique dans des cadres très libres ou plus universitaires, avant de pouvoir enfin m’impliquer dans la programmation et l’animation d’un ciné-club mensuel. Cela me donne l’occasion de partager à mon tour des films qui ont eu un impact sur moi et que je me sens désormais légitime de défendre. Présenter ces films auprès d’un public d’étudiants est en quelque sorte un aboutissement et une mise en pratique de ma propre réflexion : je peux enfin partager avec un public curieux une cinéphilie construite au fil des ans. Je souhaite ainsi transmettre la curiosité qui m’habitait durant l’adolescence, et, à l’image de la médiathèque que je fréquentais, proposer une sélection de films éclectiques, avec une mention spéciale pour le cinéma de genre ! De L’Aurore à It Follows, en passant par Lost Highway, je dépoussière avant tout MES classiques. Et je continue d’apprendre chaque mois au contact des intervenants sollicités qui posent leur regard sur chaque film. La curiosité des spectateurs rend aussi chaque projection unique. Je souffle chaque année le titre du long métrage de Kiarostami à l’équipe, en espérant pouvoir à mon tour faire découvrir ce film aux plus jeunes…

Copie conforme. Un film d’Abbas Kiarostami. Avec Juliette Binoche, William Shimell, Jean-Claude Carrière, Agathe Natanson… Distribution : MK2 Diffusion. Durée : 1h46. Sortie France : 19 mai 2010. Photo en Une : Juliette Binoche ©One Fine Day Films.

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