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Un Couteau dans le cœur : rage d’amour et rage de mort

Il s’agit peut-être d’un affront, mais avant l’édition cannoise de 2018, je n’avais vu ni long ni court métrage de Yann Gonzalez. Curieuse de découvrir un cinéma qu’on m’avait présenté comme sulfureux, j’ai assisté à une avant-première de Un Couteau dans le cœur

Alors, à quoi ressemble un film de Gonzalez ? Ce long métrage est un exercice qui donne une impression de déjà-vu avec une approche personnelle d’une grande maîtrise. Un Couteau dans le cœur, c’est un hommage appuyé et amoureux au giallo, tout en imper et en couleurs néon, sans oublier une bande originale lancinante de M83, groupe co-fondé par Anthony, le frère de Yann (décidément ma soirée fut riche en surprises). La trame narrative, typique des grands classiques italiens de Bava ou d’Argento, met en scène un mystérieux meurtrier masqué, un Leatherface déchiré par un passé qui le pousse à la vengeance. La plume d’un mystérieux oiseau, clé de l’énigme, fait d’ailleurs écho au tout premier film de Dario Argento, L’Oiseau au plumage de cristal. Le tout placé au cœur de l’industrie du porno gay de la fin des années 1970, avec la superbe Vanessa Paradis qui incarne Anne Parèze, double fictionnel de la productrice alcoolique Anne-Marie Tensi. Sa voix de jeune fille et sa candeur usée provoquent l’empathie et apportent au personnage une vraie consistance. La rage amoureuse d’Anne, une femme fragile mais blessée, la lie subtilement au meurtrier, lui aussi rongé par des amours perdues.

Un Couteau dans le cœur
© Memento Films Distribution

Un Couteau dans le cœur est avant tout un film qui parle de cinéma. Un art industriel qui prend toute sa place dès les premières images, puisque les personnages sont issus du microcosme du cinéma pornographique. Mais, ici, on ne filme pas le sexe avec la crudité et la lassitude machinale d’un film comme Le Pornographe de Bertrand Bonello. Bien loin d’une représentation sordide d’actes contraints, Gonzalez insuffle humour et bienveillance à une industrie qu’il veut dépeindre comme un lieu voluptueux de plaisir et d’abandon. Mais la passion et la violence sont intriquées par le biais des deux trames qui s’entrecroisent, les trajectoires d’Anne et du tueur en série. Les rôles s’inversent, Anne manie la tireuse-contact comme une arme tranchante, et le tueur cache une lame dans un jouet coquin. Une scène de sexe magistrale qui tourne au cauchemar mêle subtilement sensualité et violence. L’étreinte, qui se termine dans un bain de sang, est filmée avec puissance grâce au montage alterné. Gonzalez nous ramène à nos désirs primaires et la pulsion scopique (le plaisir de voir) est une forme de jouissance, comparable à celle développée dans le film Le Voyeur de Michael Powell. Un tueur s’y délecte en capturant le moment de la mort de ses proies avec sa caméra, qui est son arme au sens propre comme au sens figuré, car une lame s’y rétracte également. Dans Un couteau dans le coeur, quand Anne observe la monteuse Loïs, son amante perdue, au travers d’un judas caché dans le mur de la salle de montage, on reconnaît le judas de la maison clandestine de Madame Anaïs dans Belle de Jour. Voir l’autre, se voir à travers lui. Un Couteau dans le cœur questionne le cinéma comme outil de sublimation des affects, avec la mise en abyme par Anne de ses propres déboires amoureux, immortalisés dans un film porno cocasse.

On se demande si la menace de ce tueur en série de 1979 ne serait pas la métaphore du fléau du sida fait homme (même si cet homme-là n’est finalement pas la menace que l’on croit). Le rôle secondaire pivot de Romane Bohringer rappelle sa performance dans l’emblématique Les Nuits Fauves, et ces meurtres en série rouvrent aussi les plaies de la tragédie d’Orlando, qui a marqué le réalisateur dans sa chair. Mais peut-être que ces questionnements contextuels sont périphériques, car Un Couteau dans le cœur reste une ode au cinéma. Gonzalez cite volontiers des films comme L’Eventreur de New York de Lucio Fulci. Il joue avec l’image, s’amuse à renverser le négatif de la pellicule pour retourner l’histoire de ses protagonistes. Après le déferlement de violence, Un Couteau dans le cœur se termine par un sourire. Un film libéré et libérateur. Ce n’est pas peu de dire que je n’ai pas perdu ma soirée et je vais de ce pas découvrir la filmo de Yann !

Réalisé par Yann Gonzalez d’après un scénario de Yann Gonzalez et Cristiano Mangione. Avec Vanessa Paradis, Nicolas Maury, Kate Moran. Thriller. France. 2018. 1h42. Distributeur :  Memento Films Distribution. Sortie : 27 juin 2018. 

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