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The Fabelmans : Inspiré de faits (et d’amour) réels

Une lettre d’amour au cinéma. C’est la formule galvaudée et convenue qui s’associe automatiquement à l’annonce d’un projet comme The Fabelmans. Steven Spielberg, réalisateur américain de plus de 70 ans, a fait rêver des générations entières grâce à son inventivité, tant sur le plan du drame historique que de la science-fiction familiale, tant sur le film d’horreur aquatique que le film d’aventures. Nul besoin de citer le titre des films, vous les connaissez tous. Après avoir réalisé son fantasme de mettre en scène West Side Story, une de ses comédies musicales préférées, le cinéaste continue de se livrer en racontant ici l’histoire d’un jeune américain pris de passion pour le cinéma… Même en changeant le nom de famille (le terme fabel présent dans « Fabelmans »  fait écho au résumé d’une pièce de théâtre mettant en valeur son interprétation pour d’avantage la comprendre), Spielberg ne se cache jamais de tirer de son récit une histoire authentiquement personnelle. En comparaison avec les deux autres films sortis sur grand écran récemment racontant eux aussi avec nostalgie la grandeur du septième art (Marlowe et Babylon, mais aussi Empire of Light qui arrive prochainement), son projet se démarque par sa douceur et sa mise en scène inimitable.

Sammy est un jeune garçon ordinaire qui ne sait pas encore que sa vie va changer après avoir vu The Greatest Show On Earth de Cecil B. DeMille (pas mal comme première fois) avec ses parents. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cette scène d’ouverture, clin d’œil malicieux au Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore (notamment au travers de son plan iconique de « sidération ») : par cette sortie familiale cinématographique apparaissant comme banale, sa vie va être bouleversée. Spielberg ne choisit pas, il rend hommage à tous les artisan.nes du cinéma. Autant à la création qu’au montage au service de sa mise en scène. Ses références sont très appuyées mais détonnent par leur symbolique (on retient cette scène homologuée Blow-up où Sammy découvre au travers des images le péché et l’interdit) quitte à s’auto-citer (le film sur « l’accident de train » fait référence autant au film de DeMille qu’à Super 8, produit par le cinéaste). Toutes ces références sont mises au service de l’histoire. Spielberg (qui n’avait plus écrit de scénario depuis A.I. en 2001) s’entoure pour la quatrième fois de Tony Kushner (qui avait écrit Munich, Lincoln et West Side Story) et nous livre une histoire de famille nucléaire aux contours standards (foyer juif uni dont la scène de dîner nous rappelle celle du récent Armageddon Time de Gray) mais sublimés par la profondeur de ses personnages. Pas seulement Sammy, l’élève discret et alter ego de Spielberg, mais surtout ses parents à qui le film est dédié. Burt, le père incarné par Paul Dano, est la figure d’autorité qui accompagne son fils sans comprendre comment il peut être obnubilé à ce point par cet art. S’il tente de rester impassible, il ne peut que s’émouvoir dans une scène de conclusion poignante où Burt comprend, enfin, son rôle de parent. Il y a surtout la mère, aimante et sincère, magnifiée par le jeu tout en tendresse de Michelle Williams, qui tient probablement là son meilleur rôle. Son interprétation de Mitzi, quand il ne passe pas uniquement dans le regard, émeut par la qualité de ses dialogues réconfortants : « Fais ce que ton cœur te dit de faire. Tu ne dois ta vie à personne. Pas même à moi ». 

Avec The Fabelmans, Steven Spielberg convoque surtout le pouvoir des images. L’importance de celles qui sont filmées, de celles qui sont choisies au montage, de celles qui sont montrées et de leur impact sur le public. Tantôt dans une séquence d’émotion, tantôt dans une séquence de comédie, il souligne l’importance d’un plan au milieu d’une séquence, comme pour montrer la diversité picturale et émotionnelle que peut apporter le cinéma. Sammy comprend que grâce à ces images, il peut faire pleurer, faire rire et même rendre amoureux (notamment grâce au plan de Michelle Williams devant les phares d’une voiture, qui n’est pas sans rappeler Marilyn Monroe). Spielberg s’amuse des obsessions naïves du  jeune garçon, qui préfère le cinéma au réel, et offre une relecture puissante de sa propre vie quand, après une altercation houleuse, son personnage dit : « Personne ne le saura jamais. Sauf si je fais un film dessus mais ça ne risque pas d’arriver ». De ces dialogues crédules, Spielberg semble en tirer des conseils retenus lorsqu’il était adolescent puis appliqués une fois adulte. Ça se vérifie dans une fameuse séquence caméo qui prend toute son ampleur dans cette toute dernière idée de plan, synthèse parfaite à la séquence, au film et à la carrière du cinéaste. 

Cette œuvre reste encore pleine de mystères. Je plains les critiques qui, comme moi, portent le fardeau chronophage de devoir synthétiser cette riche expérience, mais je me réjouis des chanceux qui viennent de lire ses lignes sans avoir vu le film.  Spielberg signe un film somptueux accompagné d’une des partitions musicales les plus réussies de John Williams. L’univers de The Fabelmans est si réconfortant que l’inéluctable arrivée du générique final nous achève. C’est peut-être cela qu’on appelle « une lettre d’amour au cinéma ». 

Réalisé par Steven Spielberg. Avec Gabriel LaBelle, Michelle Williams, Paul Dano… États-Unis. 02h31. Genres : Biopic, Drame. Distributeur : Universal Pictures International France. Prix du Meilleur Film Dramatique et Prix du Meilleur Réalisateur aux Golden Globes 2023. Sortie le 22 Février 2023. 

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