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El Agua : Et dans mon sang coule une rivière

Après trois courts métrages remarqués en festivals, Elena Lopez Riera passe au format long avec El Agua, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2022. La réalisatrice espagnole livre un drame hybride, tourné dans sa contrée natale, qui se joue habilement des genres.

L’été bat son plein dans le petit village d’Orihuela, situé au Sud-Est de l’Espagne. Une tempête menace pourtant de faire à nouveau déborder la rivière qui le traverse, tandis qu’une ancienne croyance populaire assure que certaines femmes sont prédestinées à disparaître à chaque nouvelle inondation puisqu’elles ont « l’eau en elles ». Dans cette atmosphère électrique, Ana (Luna Pamies), son nouvel amoureux José (Alberto Olmo) et leur bande de copains tentent de contrer la lassitude estivale en se désirant, fumant et dansant, jusqu’à ce que la tempête éclate… Les légendes urbaines et le folklore qui en découle peuplent depuis toujours le 7ème Art, et c’est au tour d’Elena Lopez Riera de nous plonger dans ce genre qui prend régulièrement des contours mythologiques. À travers son film, dont seul le titre se révèle limpide, la réalisatrice livre un conte surprenant sur l’amour, l’eau, la jeunesse et le poids des clichés générationnels. En effet, la jeune et ténébreuse Ana, sous ses sourires enjôleurs, est loin de passer un été de tout repos et se retrouve vite en proie à de nombreux doutes et angoisses. Pour commencer, elle porte sur ses épaules la réputation maudite de sa mère (Bárbara Lennie) et de sa grand-mère (Nieve de Medina), que plusieurs villageois considèrent infréquentables, comme des sorcières des temps modernes. À cela s’ajoute la fameuse légende locale selon laquelle l’eau de la rivière s’est entichée de tout temps de la plus belle fille du village. Et si l’élue tombe par malheur amoureuse de quelqu’un d’autre, la rivière viendra la chercher pour la garder auprès d’elle. Rien de tout cela ne rassure Ana, qui vit un premier amour contrarié par les on-dit liés à sa famille, et se demande dans le même temps si elle n’est pas le prochain crush de l’eau environnante.

Tandis que la rivière devient source de mystères et de peur, El Agua prend progressivement des allures de conte fantastique. Un aspect envoûtant qui se retrouve pourtant souvent contrebalancé par la mise en scène naturaliste et dépouillée d’effets visuels. La période estivale a beau se faire sentir, on est loin d’un petit paradis planqué dans cette bourgade de Valence : l’eau est brune, épaisse et polluée, la palmeraie dans laquelle roucoulent Ana et José est asséchée et terne, les berges sont boueuses, inconfortables et remplies de déchets, les rues sont vidées de leurs habitants et ce sont les grues et les usines qui ponctuent auditivement le quotidien d’Orihuela. On est donc bien loin d’un Wonderland espagnol verdoyant et solaire. Elena Lopez Riera pousse l’aspect réaliste et maussade de son film en y incorporant des interludes face caméra des femmes du village, relatant ladite légende de la rivière et l’histoire de la fantomatique jeune mariée disparue lors d’une crue, ainsi que des images d’archives prises par des amateurs lors de l’inondation qui a frappé la région fin 2019. Autant d’éléments qui floutent les limites entre la réalité, le mythe et la fiction et permettent à El Agua de ne jamais être linéaire et fade. À l’image du cours d’eau, le film se veut mouvant, incompressible et imprévisible, et dresse au compte-gouttes le portrait d’une jeunesse en errance, tiraillée entre la tradition, leurs anciens et la soif de liberté et de renouveau. Et si le choix du retour au réalisme sur fond de coming of age au détriment du fantastique peut sembler dommage par instant, on reste charmés par son casting impeccable de non-professionnels issus du village, ainsi que par la justesse de ce récit hybride en eaux troubles.

Réalisé par Elena Lopez Riera. Avec Luna Pamies, Bárbara Lennie, Nieve de Medina… Espagne, Suisse, France. 01h44. Genres : Drame, Romance. Distributeur : Les Films du Losange. Présenté dans la sélection Caméra d’Or au Festival de Cannes 2022 et à la Quinzaine des Réalisateurs 2022. Sortie le 1er Mars 2023.

Crédits Photo : © Alina Film – SUICA films – Les Films du Worso.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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