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Films

Whitney : Extinction de voix

En démultipliant les angles d’approche de son sujet, Kevin MacDonald enlève, couche par couche, le glamour, le mythe et la déchéance d’une superstar mondiale pour offrir un film profondément troublant et non dénué d’empathie autour de Whitney Houston.

Tout cela n’était que trop parfait. Une chanteuse pop à la voix puissante et claire atteint le pic des charts, multiplie les tournées, puis se marie avec un bad boy, est mal conseillée par son entourage avant de succomber aux ravages de la cocaïne, de perdre sa voix, d’être conspuée par les tabloïds et de mourir isolée dans une suite de luxe d’Hollywood. Nul besoin d’aller chercher sur Google ou Wikipédia pour résumer en quelques lignes le destin de Whitney Houston. Et bien des documentaires télé à trois francs six sous, à regarder d’un œil distrait sur la TNT, auront tôt fait de “sensationnaliser” son ascension comme sa chute. Ainsi, la sélection officielle à Cannes d’un documentaire « autorisé » par les garants de l’héritage de la chanteuse – parmi lesquels le titan irascible de l’industrie américaine Clive Davis – avait de quoi faire sourciller. C’est sans compter sur l’œil avisé de Kevin Macdonald, qui arrive avec, à son passif, une autre exploration d’une icône mythifiée jusqu’à l’extrême : Bob Marley. Il faut mettre à son crédit, ainsi que celui de ses coproducteurs Simon et Jonathan Chinn (Searching For Sugarman), le résultat final qui ne semble craquer sous aucune pression éditoriale, et nous fait plonger avec détermination dans l’arsenal d’interviews de proches et collaborateurs, ainsi que d’archives plus ou moins rares.

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Copyright ARP Sélection

La promesse de Whitney, le film, comme tant d’autres avant, est de dévoiler un pan de la vie privée de son sujet. Ce n’est pas forcément là que réside sa réussite – même si des révélations sur un environnement familial abusif font froid dans le dos, sans forcément venir appuyer le reste du propos du film. Macdonald et son équipe reconstituent surtout brillamment, dans sa première partie, le contexte de sa réussite et la manière dont la machine pop et MTV, 15 ans avant des starlettes comme Britney Spears, l’ont hissé au firmament en plein milieu des années Reagan. L’identité de princesse de Whitney Houston n’est évidemment pas usurpée, mais elle aura été rabâchée en interview promotionnelle à l’époque : fille de Cissy Houston, choriste pour Aretha Franklin et chef de chorale gospel à la poigne de fer, nièce de Dionne Warwick, cette soprano cristalline a une lignée prestigieuse. Entre les mains de Clive Davis – qui appliquera les mêmes recettes pour Jennifer Hudson des décennies plus tard –, elle va devenir une machine teenage pop au sourire Ultra-Brite au milieu de l’ultra-capitalisme de l’époque. Contrairement à d’autres icônes pop comme Madonna ou Michael Jackson ou à des divas contemporaines comme Mariah Carey, Whitney Houston n’a pas exactement de voix créative : elle est une interprète de luxe, dont l’esprit combatif a été forgé avec une éthique professionnelle en acier trempé, entre son église de la banlieue de Newark (New Jersey) et des spectacles dans des bars pour rôder des classiques de la soul, sous le haut patronage de sa mère.

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Ce que Whitney dévoile de plus inédit, c’est son caractère bien trempé de garçon manqué à l’école, soit la  psyché épicurienne de celle que ses proches surnommeront « Nippy » dès sa jeunesse, loin de la diva au discours rôdé des interviews télé. Issue d’une famille  qui déménage des quartiers pauvres ravagés par l’endémie de crack, Whitney Houston la mettra à contribution pour l’accompagner lors de ses premières tournées… y compris ses frères, qui en profiteront pour des excursions sex, drugs et rock’n’roll, comme ils le confessent face caméra. Les tendres mélopées de  My Love Is Your Love ou encore Saving All My Love For You, si elles sont chantées avec une sincérité désarmante, cachent mal la Whitney authentique des coulisses. Macdonald prend avantage d’une chronologie qui défile en rafale pour ne pas s’appesantir sur les tumultueuses frasques de l’union de Whitney Houston avec Bobby Brown, à l’époque star montante du r&b et qui ne rate jamais une occasion d’afficher sa street cred en public, notamment avec des virées alcoolisées. Avantage : le réalisateur anglais passe outre les dénégations obligatoires de Brown quant à sa responsabilité dans les sorties de route de son ex-épouse, mais il touche aussi à une certaine authenticité au travers d’extraits au caméscope, dépeignant une relation entre deux gamins turbulents et incroyablement solidaires face à un succès indécent. Dans sa majeure partie, le film s’abstient de tout jugement envers son sujet ou ses collaborateurs, mais le montage s’avère souvent implacable envers les représentants de l’industrie musicale qui fermeront les yeux sur ses abus de drogue alors qu’ils souhaitent, plus que tout au monde, enregistrer la suite du best-seller planétaire My Love Is Your Love. La poker face de L.A. Reid, patron d’Arista alors que Whitney Houston défraie la chronique pour sa frêle santé physique, avait déclenché des rires lors de la projection cannoise.

Whitney pose quelques questions sur le traitement de l’homosexualité par des médias mainstream, alors que la relation de Whitney – avérée depuis – avec sa meilleure amie Robyn Crawford, est évoquée mais pas forcément approfondie, contrairement à la démarche d’un plus austère Whitney : Can I Be Me, sorti l’an dernier sans la bénédiction de ses proches (et disponible sur Netflix). Même si Macdonald choisit, curieusement, d’ignorer ses tentatives de comeback décevantes avec un ultime album en 2009, il dépeint brillamment le décalage entre une personnalité qui ne souhaite que le contentement de son entourage et la grande gueule pleine de vitalité montrée par les archives inédites. Elle accable aussi – souvent – l’exploitation par des proches qui ne savent ou ne veulent plus dire « non » aux excès d’une diva qui se dépense chaque soir comme une athlète de haut niveau, torturant ses cordes vocales au passage. Dans un tourbillon d’archives et commentaires, le documentaire ignore largement les tubes et les prestations live, ne gardant que la portion congrue, celle d’un talent éclatant formaté par une industrie du disque étriquée et contrebalancé par la noirceur de ses dernières années.

Documentaire de Kevin Macdonald. 2 heures. Sélection officielle, séance de minuit, Festival de Cannes 2018. En salles le 5 septembre 2018.

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