Cinéma,  Films

Empire of Light : L’Empire Sans Attaque ?

Après avoir réalisé deux volets de la saga James Bond (Skyfall, 007 Spectre) et 1917 (2019), Sam Mendes fait un retour ouaté dans les salles obscures avec Empire Of Light, drame intimiste et classique inspiré de sa mère.

Il faut bien l’avouer, nous assistons en ce début d’année 2023 à une petite déferlante de films en salles vantant les bienfaits et la grandeur du 7ème art ; l’industrie cinématographique étant, à en croire ces projets, persuadée qu’elle est amenée à disparaître dans un futur proche. Du Babylon de Damien Chazelle à The Fabelmans de Steven Spielberg, les « lettres d’amour au cinéma » se multiplient avec des approches toujours différentes et passionnantes à analyser et comparer, malgré le côté un peu cafardeux de la tendance « Le cinéma d’antan, c’était vraiment plus dément ». Le dernier en date de cette mouvance, qu’on espère malgré tout passagère, est donc Empire Of Light, permettant au réalisateur britannique Sam Mendes d’ajouter sa pierre à l’édifice, de tourner dans sa terre natale et de se livrer plus qu’à l’accoutumée. Dans ce drame intimiste inspiré de sa mère atteinte de maladie mentale, on suit les aléas d’Hilary (Olivia Colman), responsable de l’Empire, grand cinéma d’une ville balnéaire anglaise, qui tente coûte que coûte de préserver sa santé mentale fragile. Entre son train-train morose et les avances répétées de son directeur médiocre (Colin Firth, dans un excellent contre-emploi) auxquelles elle cède constamment, la solitaire Hilary vit inlassablement sous lithium et veille avec minutie sur le bâtiment sans jamais s’octroyer une petite séance. L’arrivée du jovial Stephen (Micheal Ward), nouvel employé qui n’aspire qu’à quitter cette ville de province gangrenée par le racisme, et le rapprochement entre ces deux personnages vont leurs permettre de panser leurs blessures grâce au cinéma, à la musique mais aussi au sentiment d’appartenance à un groupe. Sam Mendes transforme progressivement l’Empire en une bulle intemporelle dans laquelle Hilary, Stephen et les autres employés semblent protégés, le temps de leur shift, du climat troublé de mise en ce début des eighties. La politique raciale de Margaret Thatcher, le racisme du Front National britannique et ses skinheads en tête de cortèges, les émeutes de Brixton sont autant d’éléments historiques distillés par le cinéaste pour appuyer les vertus d’évasion et d’imagination que peuvent procurer le 7ème art à nos vies dans des temps tourmentés. La pilule est un peu grosse à avaler, certes, mais ça a totalement fonctionné sur moi, tout comme la photographie millimétrée et envoûtante de Roger Deakins et la performance habitée d’Olivia Colman, brillante dans le non verbal, qui seront pour d’autres de piètres consolations face aux défauts du film. 

En effet, Empire Of Light évoque bien des sujets majeurs sans véritablement s’y atteler. De la maladie mentale à la discrimination raciale, on a parfois la sensation que ces motifs sont incérés à coups de sabots dans la narration pour gonfler artificiellement la caractérisation des différents protagonistes. A contrario, le traitement narratif de l’univers salarial, et plus particulièrement celui de l’exploitation cinématographique, y est plutôt bien retranscrit. Les tribulations de l’équipe de l’Empire, où l’humiliation est une monnaie plus courante qu’elle n’y paraît, qu’elle provienne de la direction ou des spectateurs, sont tout à fait parlantes et parfois grinçantes pour l’ancienne projectionniste que je suis. La séquence du client très contrarié par le fait qu’il ne peut pas accéder à la salle avec de la nourriture extérieure au cinéma en est un très bel exemple. Les backstages de cet établissement posté face à la mer sont un petit délice mélancolique lorsque l’on côtoie ou a côtoyé cette sphère dont les rouages sont inconnus de la plupart des spectateurs. Il est également touchant de voir Toby Jones dans la peau de Norman, projectionniste taciturne de l’établissement, maniant avec délicatesse les bobines et sa paire de projecteurs à l’abri des regards. Un métier qui n’a plus la même saveur aujourd’hui, à l’ère du tout numérique, et dont de nombreux descendants (comme moi) regrettent d’avoir raté ce savoir-faire jadis savoureux et captivant. Une amie m’a dit l’autre fois, alors que je travaillais encore dans un cinéma et lui racontait des anecdotes, qu’elle pensait que les cinémas tournaient « tous seuls » de nos jours, qu’il n’y avait plus personne hormis les spectateurs dans ces édifices culturels. Et si certains cinémas ont aujourd’hui des allures fantomatiques avec un personnel remplacé par des bornes automatiques, Empire Of Light apporte une dose de chaleur et d’humanité à ces lieux emblématiques qui, s’ils se sont modernisés, restent avant tout des endroits de découvertes, de rencontres, de discussions et de débats au sortir d’une séance. Et c’est sans doute là, malgré sa facture classique et quelques bémols, qu’Empire Of Light émeut le plus. 

Réalisé par Sam Mendes. Avec Olivia Colman, Micheal Ward, Tom Brooke… Grande-Bretagne, États-Unis. 01h59. Genres : Romance, Drame. Distributeur : The Walt Disney Company France. Sortie le 1er Mars 2023.

Crédits Photo : © Walt Disney Company.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.