Cinéma,  Films

Scrapper : London Shining

Après trois courts métrages remarqués en festivals, la réalisatrice Charlotte Regan débarque dans les salles obscures hexagonales avec Scrapper, premier long métrage réjouissant qui dépoussière le cinéma social britannique et la représentation de la relation père-fille.

Banlieue de Londres, de nos jours. Georgie (épatante Lola Campbell), 12 ans, vit seule depuis la mort de sa mère. Elle se débrouille au quotidien pour éloigner les travailleurs sociaux en racontant qu’elle vit avec son oncle, baptisé Winston Churchill, et gagne de l’argent en faisant du trafic de vélos avec son ami Ali (Alin Uzun). Cet équilibre fragile fonctionne jusqu’à l’irruption de Jason (Harris Dickinson, blond peroxydé pour l’occasion) dans sa vie, un jeune homme qu’elle ne connaît pas qui se présente comme étant son père. A la croisée de Billy Elliot (1999) et du Géant Égoïste (2013), Scrapper met une nouvelle fois en lumière des bambins délaissés et ignorés par la société britannique. Et malgré un synopsis qui fleure le drame tire-larmes et le misérabilisme, Charlotte Regan choisit plutôt l’humour et la légèreté pour conter l’histoire de cette petite tête blonde malmenée par la vie, aussi débrouillarde qu’attendrissante dans ses multiples contradictions. Loin des personnages d’enfants trop lisses définis souvent par leur réussite scolaire ou non, Georgie brille par son écriture complexe qui, derrière un caractère bien trempé, une dureté affichée et des punchlines bien placées, ne s’autorise en réalité pas à pleurer face au décès de sa mère qui l’affecte profondément. Aussi émouvante que désarçonnante, la jeune fille ne veut perdre ses moyens devant personne, préférant se cacher derrière un talus ou dans l’une des pièces de la maison, barricadée à double tour, pour évacuer son chagrin à l’abri du moindre regard. Le deuil vécu à hauteur d’enfant n’est pourtant pas synonyme de mélo ici, et passe plutôt par la perception du monde et l’imaginaire de Georgie que la réalisatrice rend colorés, et parfois drôles. On pense notamment à ce crew d’araignées qui sillonne la maison que la jeune fille refuse d’écraser, préférant leur donner à chacune un prénom – Napoléon ou Alexandre le Grand, entre autres – et les faire actrices de nombreuses péripéties.

Un côté enfantin que l’on retrouve largement chez son paternel Jason, dont la maturité juvénile équivaut régulièrement à celle de sa fille. Démissionnaire puis repentant, ce jeune papa paumé au passé mystérieux tente maladroitement de se faire accepter par Georgie plutôt que l’inverse. Un nouveau choix étonnant et non moins réjouissant de Scrapper, à contre-courant de nombreux films mettant en lumière la relation père-fille, très en vogue ces derniers temps, comme Somewhere (2010), Flag Day (2021) ou encore le récent Aftersun (2022). En effet, si les films précédemment cités mettent en lumière des darons incompétents quoique touchants dans leur fragilité, ils s’intéressent à la place du père et de l’importance de son image dans la construction d’un enfant, là où Scrapper s’attèle quant à lui à l’exploration d’une rencontre entre deux inconnus liés par le sang qui tentent de s’apprivoiser. La réalisatrice anglaise détonne aussi par l’atmosphère visuelle entourant ce duo étonnant quoique crédible. L’architecture du Londres extramuros dans laquelle vit Georgie revêt en effet des contours presque oniriques. Loin des clichés gris et mornes de la capitale anglaise dans le 7ème Art, Charlotte Regan rend cette banlieue colorée et charmante par le biais de cadres millimétrés pour mieux faire ressortir les couleurs pastel et la géométrie des lotissements baignés par le soleil, qui perce bien plus souvent le ciel britannique qu’on nous le laisse paraître. Scrapper trouve son principal atout dans l’interprétation touchante de ces deux personnages principaux : la révélation Lola Campbell, dont c’est le premier rôle au cinéma, bluffante de nuances et de spontanéité dans son jeu, ainsi que Harris Dickinson, vu notamment dans la Palme d’Or Sans Filtre (2022), comme un poisson dans l’eau dans la peau d’un paternel qui émeut autant qu’il agace par sa maladresse. Charmant, drôle et attendrissant, Scrapper est la petite pépite britannique de ce début d’année, l’éclosion d’une cinéaste et d’une jeune comédienne qu’on a hâte de retrouver à nouveau sur nos écrans.

Réalisé par Charlotte Regan. Avec Harris Dickinson, Lola Campbell, Alin Uzun… Grande-Bretagne. 01h24. Genres : Comédie, Drame. Distributeur : Star Invest Films France. Grand Prix du Jury – Fiction Étrangère au Sundance Film Festival 2023. Sortie le 10 Janvier 2024.

Crédits Photo : © Star Invest Films France.

Camille écrit et réalise des courts métrages, et officie en tant que directrice de casting sur de nombreux projets. Membre du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision, elle est passée par les rédactions de Studio Ciné Live, Clap! Mag et Boum! Bang!, et a été rédactrice chez les Écrans Terribles entre 2018 et 2024.

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